Posted in Economie

L’économie de marché est-elle juste ?

L’économie de marché est-elle juste ? Posted on 7 mars 20152 Commentaires

« L’économie de marché est-elle juste ? » C’était le thème d’un débat exclusif auquel le magazine économique belge Trends-Tendances avait convié un panel de six académiciens, professeurs d’université en Belgique et en France, et trois cents de ses lecteurs à l’Académie royale de Belgique. « La question est loin d’être académique, précisait l’invitation, comme le démontrent la montée des partis populistes de droite et de gauche en Europe, et le résultat des dernières élections en Grèce. »

La question se posait d’autant plus, aux yeux du premier orateur, qu’Adam Smith, considéré comme le père fondateur « souvent cité mais bien moins souvent lu » du libéralisme pour ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, avait écrit un autre livre, largement méconnu et donc bien moins souvent cité, La Théorie des sentiments moraux. Ce dernier ouvrage, qui en fait précéda l’autre, suffirait à prouver, selon l’orateur, le doute qui régnait dans l’esprit même de son auteur concernant l’équivalence du triangle liberté, efficacité, justice dans le domaine économique. Joseph Schumpeter n’avait-il pas d’ailleurs prévu la disparition du « capitalisme » par désaffection politique et psychologique ?

C’était bien du « capitalisme » que l’on débattait, enfin d’une certaine forme de capitalisme, non de celui d’Etat qui fit le bonheur des masses dans l’Union soviétique et ses régimes frères, mais de celui honni qui fut à l’origine des progrès phénoménaux d’ordre matériel et personnel qu’a subis l’Occident au cours du siècle dernier et jusqu’à nos jours. Deux orateurs ne se privèrent pas de vilipender cette horreur et ses principaux protagonistes contemporains, Google, Apple, Facebook et Amazon, tous Américains. Ça tombait bien pour conférer de doux relents soixante-huitards au « débat » qui n’en était pas un puisque chaque orateur y alla de son petit exposé et le public n’eut pas la parole. Ce dernier ne leur en tint pas rigueur et sa frange la plus grisonnante, retrouvant ses élans d’antan, applaudit à l’énoncé de l’idée que la science économique ne constituerait finalement pas une représentation valide de la réalité sociale.

Compte-tenu de l’empressement avec lequel, une fois la séance levée, les participants tapotèrent sur leurs iPhones pour y consulter leurs comptes Facebook, faire une recherche sur Google ou procéder à un achat en ligne sur Amazon, il eût été plus instructif que les éminents orateurs s’interrogent sur la raison pour laquelle ces géants du virtuel sont tous américains. L’un des orateurs s’y essaya, relevant que là où la théorie classique avait étudié la réalité économique en termes d’équilibres, l’analyse de Schumpeter introduisit un élément de rupture, la notion de destruction créatrice, ce formidable accélérateur de développement dont profitèrent des entreprises comme Solvay, Bayer, IBM et bien d’autres. L’innovation comme levier de progrès social ? Encore faudrait-il se montrer moins hostile à l’entreprise pour favoriser l’entrepreneuriat, seule source d’innovation car cette dernière ne se laisse habituellement pas planifier et encore moins juguler par de grands esprits.

L’économie de marché est-elle injuste, aveugle ? Dans La Route de la servitude, Friedrich Hayek faisait remarquer que « pour les anciens la cécité était un attribut de la divinité de la justice. La concurrence et la justice n’ont peut-être rien d’autre en commun que le mérite de ne pas tenir compte des considérations personnelles. » Il est curieux qu’aucun des cinq orateurs présents n’ait jugé utile de se référer à ce philosophe, prix Nobel d’économie, qui consacra une partie importante du deuxième tome de sa trilogie Droit, Législation et Liberté aux questions de liberté, marché et justice.

L’alternative que préconisent ces beaux esprits qui ont pour dénominateur commun de n’avoir jamais créé ni fait fructifier la moindre entreprise personnelle, serait-elle un système dans lequel la volonté de quelques-uns déciderait quelle part de prospérité attribuer à chacun ? Un tel système serait-il socialement plus juste que celui « où, au moins partiellement, les capacités et les actes de chacun détermineraient, autant que les circonstances imprévues, la place qu’il occupera » ?

* * *

Soutenez la page Palingénésie sur Facebook. Suivez Palingénésie sur Twitter.

Share and Enjoy !

Shares

Soyez averti de nos prochains articles

2 commentaires

  1. « L’alternative que préconisent ces beaux esprits qui ont pour dénominateur commun de n’avoir jamais créé ni fait fructifier la moindre entreprise personnelle », c’est un peu l’une des conclusions de Schumpeter. Ce n’est pas tellement une désaffection politique, mais plutôt une désaffection intellectuelle, car le capitalisme a notamment comme résultat de produire des universités, conséquence de la division du travail et donc de l’économie de marché. Or, étant donné que les intellectuels produisent des biens dont la demande est faible et dont l’offre est trop abondante, ils ne reçoivent pas des revenus à la hauteur de leur ambition, ils se sentent sous-évalués — contrairement aux entrepreneurs, c’est du moins ce que la plupart des intellectuels ont en tête selon Schumpeter, que les entrepreneurs sont sur-évalués et donc reçoivent des revenus surestimés.

    Cela implique que les universitaires ont tout intérêt à faire tomber le capitalisme, car ce système économique leur est défavorable. La conclusion de Schumpeter est sans appel : le capitalisme ne peut que s’effondrer car il produit des intellectuels en masse qui ont une faible valeur marchande. Et il suffit de se rendre dans des facultés de sciences sociales pour le constater : une haine viscérale envers les économistes, un mépris de la psychologie qui dans la tête des sociologues est la pute de l’économie, une méfiance exacerbée envers les initiatives privées, etc.

    Je dis ça en connaissance de cause et à regret… L’arrogance qui règne dans les facultés de sciences sociales me fait beaucoup de peine, et je regrette qu’il ne soit pas possible d’avoir des débats sereins et argumentés lorsque le mot libéralisme sort de la bouche de quelqu’un. Le nombre de stéréotypes, d’ignorance crasse, de la part de professeurs universitaires, me sidère. Lire un livre publié par une fac de sciences sociales en Belgique me donne soit des fous rires, lorsque je suis de bonne humeur, soit l’envie de me révolter contre ces amalgames honteux.

    Signé un étudiant en sciences sociales fatigué.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Shares