La liberté, ma liberté, dans son expression individuelle, est-elle la valeur suprême, le bien absolu ?
Si la liberté de la personne est une valeur essentielle, elle n’en est pas pour autant unique ni absolue car elle ne constitue qu’une partie de notre humanité. Elle reste conditionnée par de multiples autres aspects de l’existence et de la réalité. La plus grande partie de ce que sont l’homme et la femme ne dépend pas de leur liberté. « Je n’ai pas choisi d’exister, je n’ai pas choisi mes parents, je n’ai pas choisi mon patrimoine génétique, je n’ai pas choisi ma langue, je n’ai pas choisi ma citoyenneté, » dit André-Joseph Léonard.
Qu’il est rafraîchissant, dans les derniers jours d’une année qui s’est, plus encore que les précédentes, caractérisée par la haine et les propos réducteurs à l’égard de l’une ou l’autre catégorie sociale et des « autres » en général, c’est à dire de tous ceux qui ne partagent pas la même opinion et, de préférence, de tous ceux qui n’ânonnent pas celle du plus grand nombre, qu’il est intellectuellement et moralement revigorant de relire les propos de Monseigneur Léonard, l’ancien archevêque de Malines-Bruxelles et Primat de l’Eglise catholique Belgique, réunis l’année dernière dans un recueil intitulé « Un évêque dans le siècle ».
Ces propos touchent toutes les questions de société qui polarisent (euthanasie, avortement, famille, sexualité, coexistence avec l’Islam en Europe, réfugiés, écologie, transhumanisme, foi…) et trouvent leur vigueur dans une oasis de saine réflexion puisant aux racines mêmes de la culture européenne.
Se référant à l’« existential » dans la philosophie de Heidegger, Monseigneur Léonard rappelle que la condition humaine consiste intrinsèquement en ce que l’on est pour autrui, l’on est dans le monde et l’on est pour la mort. Or, dans beaucoup de questions sociétales mentionnées ci-dessus, la liberté individuelle est exhibée comme absolue, faussement d’ailleurs, puisque cette liberté, dans le monde contemporain, est souvent bridée dans ses choix ou dans son expression.
Si elle est bien au coeur de notre existence, si elle en est une condition fondamentale (Kant écrit : « le sentier de la liberté est le seul où il soit possible d’user de sa raison dans la conduite de sa vie), la liberté n’en constitue pas le tout, car cela aboutirait, comme dans l’existentialisme de Sartre (« la liberté n’a d’autre but que de se vouloir elle-même »), à ce que la liberté se salue elle-même dans sa vacuité.
« La grandeur de l’être humain, c’est de devenir librement ce qu’il est », dit Monseigneur Léonard, citant Thomas d’Aquin. Nous sommes liés par cette « ob-ligation » morale, qui est notre grâce et notre tourment. Au contraire des brebis qui, voyant le loup, fuient par instinct, nous agissons par jugement, par « l’engagement de notre liberté » sans que nous puissions pour autant nous prendre pour Dieu comme si nous incarnions nous-mêmes le bien.
Bien qu’il admire Hegel, l’on ne s’étonnera pas, au vu de ce qu’il pense de la liberté et de la grandeur de l’homme et de la femme, que Monseigneur Léonard récuse, que ce soit sur le plan existentiel ou sur le plan conceptuel, tout système clos. « Un système qui serait parfaitement clos, en logique ou en mathématique, serait incohérent », dit-il, se réjouissant des manifestations d’humilité épistémologique dans les sciences et dans plusieurs domaines de la pensée.
Dès lors qu’elle ne pourrait englober la totalité du réel et ce qui le dépasse, « aucune science ne peut être conclusive, fermée sur soi. Et la théologie non plus, et la métaphysique non plus. Heureusement, parce que c’est ce qui nous ouvre un avenir. Si tout était bouclé, il n’y aurait plus d’avenir. » Est-il nécessaire de préciser que cela s’applique aussi au niveau des idéologies en général et des systèmes politiques en particulier ?
Théologien, André-Joseph Léonard est aussi et surtout philosophe. « Les vrais scientifiques – il s’agit quand même de la majorité – ne sont pas des idéologues et ils savent que leur approche du réel est limitée », dit-il. S’il voit certes parmi les missions de la philosophie celle de se pencher sur l’épistémologie des sciences (et a fortiori des systèmes de pensée qui se prévalent abusivement de ce statut), il voit aussi celle de « se réapproprier son domaine ancestral qui est l’être ». Il cite le philosophe français Maurice Blondel (1861-1949) comme exemple de ce que doit être le philosophe aujourd’hui mais aussi le Français Claude Bruaire (mort prématurément) et le Belge Emmanuel Tourpe.
Que vous soyez croyant ou non-croyant, « Un évêque dans le siècle » vous désenglue de la gangue dont nous affligent les médias et les apôtres de la pensée unique et vous invite à une réflexion lucide et cohérente sur l’être et l’agir dans le monde et sur les questions sociétales avec André-Joseph Léonard, l’un des plus engageants et véritables intellectuels de notre époque.
Joyeux Noël à toutes et à tous !
« Un évêque dans le siècle », Monseigneur Léonard interrogé par Drieu Godefridi, préface de Richard Miller (Les éditions du CEP, septembre 2016, 200 p., ISBN 978-2-39007-028-3, 14 EUR). A paraître en italien sous le titre : « Dio è morto ? Un vescovo nel nostro tempo in dialogo con Drieu Godefridi ».
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