Ne feraient-ils pas mieux de se taire ? A commencer par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, qui a déclaré la semaine dernière, lors d’une séance de questions et réponses, que « les Italiens devraient travailler plus, être moins corrompus et cesser d’incriminer l’Europe pour tous les maux de l’Italie ». « Il appartient aux Italiens de prendre soin des régions pauvres de l’Italie, précisa-t-il encore. Un pays est un pays, une nation est une nation. D’abord il y a les pays, l’Europe vient ensuite. »
Le commissaire européen au Budget, l’Allemand Günther Oettinger, avait précédé Juncker au jeu des phrases assassines en déclarant en substance dans une interview accordée à la Deutsche Welle que « les marchés dicteraient aux Italiens la bonne manière de voter ». « Oops ! He did it again ! », ironisa le magazine Der Spiegel dans sa version online, en précisant que le commissaire n’avait pas prononcé cette phrase (twittée par son intervieweur) mais qu’il s’était exprimé de manière beaucoup plus nuancée.
Qu’importe, en cette époque dominée par les tweets à l’emporte-pièce, qu’il se soit agi d’un résumé lapidaire twitté par l’intervieweur de la Deutsche Welle ou d’une citation verbatim du commissaire lui-même, Matteo Salvini, le chef de la Ligue, le parti italien de droite radicale, s’empressa d’exiger (« C’est dingue ! Ils n’ont honte de rien à Bruxelles ! ») la démission immédiate, « cette après-midi même », d’Oettinger, et Luigi Di Maio, le chef du M5S, le Mouvement 5 Etoiles, l’autre parti de la nouvelle coalition italienne, de twitter : « Ces gens traitent l’Italie comme s’il s’agissait d’une colonie d’été dans laquelle ils se contentent de passer leurs vacances. »
Dans le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung du weekend dernier, la chancelière allemande s’est prononcée avec un sens plus aigu de la diplomatie. Angela Merkel s’est dite calme malgré le tumulte des jours précédents, prête à amorcer un dialogue ouvert et à travailler de concert avec le nouveau gouvernement italien, résolue dans sa volonté de préserver la solidarité entre partenaires de l’euro, mais ferme quant à ce que cette solidarité ne se transforme pas en une « communautarisation » des dettes. « Je suis très intéressée à parler avec le nouveau gouvernement italien de ses idées visant à permettre à plus de jeunes de trouver du travail. »
Ce n’est pas un, ce sont deux populismes qui ont triomphé en Italie. Ils disposent d’une majorité au parlement et vont à présent gouverner ensemble. Si la coalition n’avait pu former un gouvernement, trois mois après les élections, de nouvelles élections auraient dû être organisées à l’automne et sans doute les partis populistes en seraient-ils sortis renforcés.
Ces deux populismes s’articulent autour de slogans anti-UE et de notions de « démocratie directe » et de « révolte du peuple » contre les « élites ». L’un, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S), fut fondé par le comédien Beppe Grillo (l’homme du « V-Day » pour « Vaffanculo », « va te faire f… ») aux côtés d’un prophète de la démocratie sur Internet, Roberto Casaleggio. L’autre, la Ligue de Matteo Salvini, était un parti sécessionniste du Nord mais est devenu un parti d’extrême-droite qui exprime sa sympathie pour les régimes de la Russie et de la Corée du Nord. (Le nouveau Premier ministre italien, Giuseppe Conte, a plaidé cette semaine pour une normalisation des relations avec la Russie.)
C’est donc un curieux attelage qui est arrivé au pouvoir de l’un des membres fondateurs de l’Union européenne, jusqu’à présent fermement ancré dans des alliances multilatérales et transatlantiques. C’est un peu comme si Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen unissaient leurs forces. Les opposés s’attirent, dit le proverbe. N’est-ce pas aussi une loi de la physique, voire même de la psychologie ?
L’Italie risque aujourd’hui de payer cher pour l’hubris de son ancien Premier ministre Matteo Renzi qui avait mis son mandat en jeu lors du référendum constitutionnel de 2016 et s’était mis hors jeu. Dès que les résultats des élections de mars dernier furent connus, il a opté pour l’opposition malgré que son parti démocrate soit arrivé deuxième derrière le M5S et devant la Ligue.
Les intentions de la nouvelle coalition d’instaurer une allocation universelle et de réduire les impôts ne vont pas dans le sens du nécessaire assainissement budgétaire que dicte l’ampleur de la dette italienne. Dès lors, si Juncker et Oettinger ont sans doute eu tort de s’être exprimés publiquement, ils ont raison sur le fond. A défaut de s’être réformée, il appartient à l’Italie de le faire en commençant, c’est le sens des propos d’Angela Merkel, par refondre en profondeur sa législation régulant le marché du travail.
Quant à la ferme volonté affichée par la chancelière allemande d’éviter une « communautarisation » des dettes, c’est une toute autre histoire. La dette italienne s’élève à 2302 milliards d’euros, soit 132 % du PIB. Selon les données du cercle de réflexion Bruegel reprises par l’institut Statista dans le tableau ci-dessous, cette dette est détenue à 36 % par des créanciers étrangers et à 40 % par les banques italiennes. A peine un peu plus de 5 % des obligations souveraines sont détenues par des investisseurs privés nationaux. A ces chiffres, l’on aperçoit aisément les dangers d’un effet domino systémique d’une confrontation entre l’Italie et l’Europe.
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