« C’est un rare honneur et comme la justification d’une destinée d’écrivain que d’avoir, un jour, coïncidé avec la conscience d’un peuple ». C’est cette coïncidence de l’Histoire, de la création de l’hymne de la Résistance française et des destinées des personnages hors du commun qui y ont pourvu, que Sylvain Charat, qui est docteur de l’université Paris IV Sorbonne spécialisé en histoire moderne et contemporaine et enseigne l’histoire, raconte dans ce lumineux petit recueil publié aux bien-nommées Editions de La Renaissance française. Qu’il permette à la France, empêtrée dans ses impasses politiques, de rêver. Ce n’est peut-être pas son objet, mais comment pourrait-il ne pas y faire penser : « Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne. »
Des personnages hors du commun
Cette Histoire de l’hymne de la Résistance française (le sous-titre de l’ouvrage), que Charat dédie à son grand-père, Marcel Choquet, résistant, mort à 38 ans en déportation en Allemagne, le 10 avril 1945, c’est aussi celle des destinées de deux monuments de la littérature française, l’un, juif russe né en Argentine et arrivé à Paris à l’âge de 10 ans, Joseph Kessel, et l’autre, son neveu, juif par son père et catholique par sa mère, Maurice Druon, l’un et l’autre appelés à devenir membres de l’Académie française ; de deux femmes artistes, l’une, jeune Russe d’origine polonaise par son père et gréco-italienne par sa mère, exilée à Londres, Anna Marly, l’autre, célébrité de la chanson française des années 1930 et 1940, Germaine Sablon ; et, enfin, d’un aristocrate français aux penchants de gauche, Emmanuel d’Astier de la Vigerie.
« Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute. » Kessel et d’Astier de la Vigerie s’étaient rencontrés dans les salons littéraires parisiens mais leur amitié ne s’affirma, relate Charat, qu’en 1932 lorsqu’ils fréquentèrent l’un et l’autre le même spécialiste des cures de désintoxication. Accro à l’opium, la cocaïne et l’héroïne, Kessel reconnut qu’il y eut une époque où il obéissait à ses instincts, fussent-ils démentiels. d’Astier, quant à lui, reconnut qu’il y avait là une forme d’évasion, négative en l’occurrence. Leur amitié n’était pas une évidence, constate Charat, leurs personnalités étaient plutôt antinomiques, mais sans doute, comme Druon l’écrit dans ses mémoires, partageaient-ils « une aspiration congénitale au gigantisme, à la démesure ». Leur médecin les avertit toutefois : « Je guéris le corps, mais pour l’âme, cela ne dépend plus de moi. » Seul élément positif et durable de cette cure, résume Charat, leur amitié jouera un rôle clé dans la genèse du Chant des Partisans.
Fut tout aussi essentiel le rôle de celui qu’il appelle « l’inséparable neveu », Maurice Druon, alors jeune homme de vingt ans, dandy à la chevelure blond vénitien et aux yeux bleus, au verbe haut et à l’inébranlable confiance en lui, ayant du sang, expliqua-t-il lui-même, des quatre points cardinaux et des ascendants catholiques hyper-pratiquants, juifs pieux (ou non) et libres-penseurs acharnés, fils illégitime du frère de Joseph Kessel avec sa mère encore mariée à l’époque. Elle se remariera plus tard avec René Druon de Reyniac qui élèvera le petit Samuel devenu Maurice comme s’il était son fils. Joseph Kessel ne pouvait que s’intéresser à son jeune neveu. Il lui rappelait son frère Lazare, décédé au même âge, et il avait lu tous ses livres. Il avait beau n’avoir que vingt-et-un ans lorsque la guerre éclate, Druon était déjà, écrit Charat, un familier du monde littéraire.
Guerilla Song
Bien que vouant à sa première femme Sandi, décédée de la tuberculose en 1928, une Roumaine de son vrai nom Nadia-Alexandra Polizu-Michsunesti, une fidélité posthume que Maurice Druon relate dans ses mémoires avec tendresse, Joseph Kessel multiplie les conquêtes. L’une d’entre celles qui ont compté, Germaine Sablon, est une vedette des cabarets parisiens. Follement amoureuse de Kessel, elle suivit courageusement car non sans péril via l’Espagne et le Portugal l’oncle et le neveu à Londres où la première elle chanta le Chant des Partisans dont la mélodie avait été reprise à la Guerilla Song composée par Anna Marly et les paroles françaises avaient été écrites par Kessel et Druon (qui est l’auteur de la citation tout au début de cet article).
Narration historique rigoureuse et captivante de la création de la « Marseillaise de la Libération », l’un des grands symboles de la Résistance française, considéré aujourd’hui comme l’un des trois hymnes officiels de la France, d’ailleurs repris à ce titre le 8 mai dernier sous l’Arc de Triomphe, le récit de Sylvain Charat témoigne aussi d’une Europe cosmopolite et intellectuellement trépidante dont Paris a été l’un des principaux centres, comme l’avait été Vienne au début du XXe siècle et l’était Berlin avant la Seconde guerre mondiale, et des intrigues politiques qui se tissaient à Londres alors que les populations directement exposées à la guerre se demandaient si elles y survivraient. La guerre se déplace, revient, mais ne change jamais de nature. Malgré toute sa fortuite magnificence, dont attestent la Résistance et le chant qui l’a personnifiée, l’homme reste une espèce d’une monstrueuse et désespérante médiocrité.
Le Chant des Partisans, Sylvain Charat, Les Editions de la Renaissance française, 157 p.
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