Qu’il faille un économiste formé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et bénéficiant d’une subvention de l’Etat norvégien et d’un congé sabbatique de son employeur, l’euro-sceptique et eurosceptique Financial Times, pour plaider avec brio la cause de l’euro, devrait en plonger les détracteurs dans la confusion et en couvrir les responsables de honte. Les premiers ont manqué d’objectivité et les seconds, de conviction. Dans Europe’s Orphan, Martin Sandbu argumente que lesdits responsables ont en outre commis dans la gestion de la crise de la zone euro de nombreuses fautes directes qui ont contribué à dévaluer la stature de la monnaie unique et du projet européen tout entier. De même qu’un orphelin malencontreusement placé chez des proches suscite ressentiment et compassion mais pas d’amour, l’euro paraît aujourd’hui difficile à aimer et désavoué par ses propres membres.
Il y a deux manières, expose l’auteur, dont la structure prétendument imparfaite de l’union monétaire européenne serait, aux yeux de ses détracteurs, responsable d’une crise qui trouve son origine, faut-il le rappeler, dans celle des crédits hypothécaires américains. D’une part, les agents économiques de la zone euro auraient pris plus de risques qu’ils n’en auraient pris si la monnaie unique n’existait pas. D’autre part, quelle que fût l’origine de la crise, l’euro priverait les décideurs des meilleurs outils de politique économique qui leur permettraient de combattre la crise. Ce sont ces deux allégations que Martin Sandbu réfute dans son plaidoyer.
C’est l’accumulation excessive de dettes et de crédits qui plongea l’eurozone dans la crise mais celle-ci se serait aussi produite si l’euro n’avait pas existé, écrit-il, et elle n’était nullement prédestinée à se dérouler comme elle le fit à cause de l’euro. Le livre reprend le récit de la crise et montre qu’à des moments critiques les dirigeants politiques et les autorités monétaires commirent des fautes, non pas parce que l’euro ne leur laissait aucune alternative mais parce qu’ils suivirent des idées aberrantes quant à ce qui était nécessaire et, en particulier, l’idée qu’il fallait à tout prix éviter de restructurer les dettes.
Les exemples de la Grèce et de l’Irlande sont édifiants, avance l’auteur. D’un côté, il s’agissait d’un problème de dette souveraine, de l’autre côté, d’un problème de surendettement de banques privées. La sanctification des dettes comme étant quelque chose qu’il fallait respecter par-dessus toute autre chose engendra de nouvelles fautes et conséquences d’ordre économique (assainissement budgétaire sévère et resserrement du crédit) et d’ordre politique (suspension de fait du processus démocratique et rebellions populistes). Le pire est que cette approche servit de modèle lorsqu’il fallut résoudre d’autres crises (Chypre, Portugal, Espagne).
Si l’euro n’existait pas et l’on en était resté au système monétaire européen encadrant les fluctuations des monnaies nationales d’avant l’euro, la Grèce n’eût-elle pas triché sur l’état réel de son économie, les banques lui eussent-elles prêté moins d’argent ainsi qu’aux autres emprunteurs souverains à des taux comme s’il se fût agi de l’Allemagne, eussent-elles antérieurement acheté moins de pots pourris de crédits hypothécaires américains ?
Toujours est-il qu’en 2012-2013, les leaders de la zone euro se rachetèrent. Après avoir abhorré les restructurations de dettes souveraines et bancaires, ils adhérèrent aux unes et aux autres. Sans doute auraient-ils pu et auraient-ils dû le faire beaucoup plus tôt. Le bien-être économique et l’équilibre politique de l’Europe s’en seraient portés nettement mieux.
L’ultra-gauche populiste, qu’embrasse le Front National sur le plan économique, prône un retour au paradigme inflation-dévaluation-imposition à tous crins. C’est oublier que cette manière de procéder, si elle peut restaurer un semblant de compétitivité extérieure, ce n’est qu’à titre temporaire et cela dissimule l’essentiel, à savoir un manque de productivité et de croissance à long terme de la capacité réelle de l’économie en termes de rendement de chaque heure de travail et de chaque unité de capital. En outre, la volatilité monétaire comporte un réel coût économique en ce qu’elle dissuade le commerce international et l’investissement en raison de l’incertitude qu’elle induit concernant leur rentabilité.
Qu’une économie prospère ou stagne sur le long terme n’est qu’en partie déterminé par la monnaie, rappelle Martin Sandbu. Cette conclusion fondamentale fera l’objet d’un autre article consacré à Europe’s Orphan, remarquable analyse et plaidoyer lucide qui vont à l’encontre des partis pris et des prêches du repli sur soi.
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