En France, des centaines de milliers de personnes visionnent ses vidéos et le suivent sur Internet. A 82 ans, il ne se range pas parmi le commun des influenceurs. Charles Gave n’a d’ailleurs rien à vendre, mais beaucoup à partager. En 1999, il créa Gavekal, une société de recherche et de conseil dont il établit, non sans prescience – on le verra -, le siège à Hong Kong et qui dispose de bureaux à Londres, New York, Pékin et Paris. Par la suite, il a créé l’Institut des Libertés, un think-tank libéral dans une France qui ne l’est pas – s’est-elle jamais départie d’une forme de colbertisme ? –, et, l’an dernier, l’Université de l’Epargne où il enseigne à tout qui veut l’écouter comment gérer son capital.
Dans Les mondes de demain, le dernier en date de ses essais qui se vendent par dizaines de milliers d’exemplaires, il forme le projet ambitieux de décrypter ce que seront les vingt prochaines années. Il confie avoir écrit cet essai « sous les platanes à Avignon, un verre de châteauneuf-du-pape à la main et un cigare en bouche », sans doute par grand mistral. Accrochez-vous, ça décoiffe. Il ne s’agit pas de prévoir, précise-t-il, mais de comprendre les futurs possibles. L’économie n’est pas une science exacte et n’est pas non plus une branche de l’astrologie. Elle suit une certaine logique et répond à une intranquillité philosophique qui tient en quelques mots. Qu’est-ce qui a de la valeur ? Pourquoi varie-t-elle au fil du temps ? Comment l’accroître et assurer la prospérité du plus grand nombre ?
Première constatation : nous sommes en train de passer d’un monde dominé par l’Occident à un tout autre monde, complètement décentralisé – apparemment à l’insu du plein gré de l’Union européenne qui préfère légiférer à tout va que produire, mais soit ! Premier verdict : si l’Europe et les Etats-Unis perdent pied, c’est parce que la liberté et le droit de propriété y sont menacés ; si l’Asie monte, c’est parce que l’on y est de plus en plus libre et que le droit de propriété y est de plus en plus respecté. Gave fait sienne ce propos de Jean-Paul II : « La liberté, c’est de pouvoir et de vouloir faire ce que l’on doit faire. » Que nous faut-il faire pour encore avoir voix au chapitre ?
Théorie et pratique
Gave a l’honnêteté d’inviter d’emblée à mettre son propos en perspective en rappelant un aphorisme du célèbre coach de baseball Yogi Berra : « En théorie, pratique et théorie, c’est la même chose. En pratique, ce n’est pas vrai du tout. » Pour lui, l’empire américain est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à la suite de l’accord passé entre le président Roosevelt et Ibn Saoud, le fondateur de l’actuelle Arabie saoudite, accord aux termes duquel, en échange de la protection militaire des Etats-Unis, l’Arabie facturerait ses exportations de pétrole en dollars américains. L’obligation fut tout naturellement étendue aux autres pays exportateurs de pétrole.
La conséquence en fut que tous les pays importateurs nets d’énergie furent condamnés à disposer de dollars, donc à entretenir une balance commerciale excédentaire avec les Etats-Unis et, à cette fin, à sous-évaluer leur devise pour être concurrentiels et à recycler leurs dollars en obligations de l’Etat américain afin d’avoir toujours des dollars sous la main. Quant aux Etats-Unis, leur train de vie était financé par leur déficit extérieur. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, ou presque, jusqu’au jour où un certain Poutine arriva à la tête de l’un des principaux producteurs de pétrole et de gaz et s’avisa de facturer à ses clients dans leur propre devise. N’allez pas chercher plus loin, selon Gave, la raison de la « grosse colère » des Etats-Unis et de leur intérêt soudain pour l’Ukraine.
S’ensuivirent la confiscation des réserves de change de la Russie auprès de la Fed et de la Banque centrale européenne, la saisie des avoirs de citoyens russes au seul prétexte qu’ils étaient russes, et l’exclusion de la Russie et de ses entreprises du système de paiements internationaux SWIFT. Gave avance que, ce faisant, l’Occident ne s’est pas tiré une balle dans le pied, mais directement dans le portrait.
En effet, s’il y avait deux domaines dans lesquels l’Occident excellait, c’était dans le respect quasi-religieux du droit de propriété et, depuis des siècles, dans la dématérialisation de l’argent, le tout basé sur le fait que le système juridique occidental inspirait plus confiance que n’importe quel autre. L’effet de prime qui en résultait se traduisait par un coût de capital inférieur en Occident par rapport au reste du monde. Ce coût est désormais moindre à Singapour ou en Chine qu’il ne l’est en Europe ou aux Etats-Unis et pour cause : les confiscations et spoliations des dernières années ont convaincu le monde entier que le droit en général et le droit de propriété en particulier ne sont plus que de la foutaise en Occident dès lors que ses dirigeants en font application à leur guise.
Le « triangle du futur »
Les génies qui hantent le Berlaymont et le « Caprice des dieux » à Bruxelles ne semblent pas encore l’avoir compris, à preuve l’affaire des avoirs russes gelés logés chez Euroclear et malgré tous les efforts du Premier ministre belge à leur faire comprendre que ce n’est pas une bonne idée de s’en saisir. L’administration Trump, par contre, a très bien compris que si chaque pays peut acheter du pétrole et du gaz dans sa propre monnaie, plus personne n’aura besoin du dollar et les Etats-Unis auront un gros problème à maintenir leur train de vie, sans parler de payer les intérêts sur leur dette abyssale ni de la réduire.
La fin du couple pétrole-dollar et la guerre en Ukraine ne sont certes pas la seule cause du déclin économique de l’Occident, mais elles ont contribué à l’accélérer et à faire émerger un « triangle du futur », dominé par les trois grandes puissances asiatiques, la Chine, l’Inde et une Russie dont les réserves de matières premières paraissent infinies. (Elles ont fait que, loin des rodomontades d’un ancien ministre français plus connu pour sa plume érotique que pour sa sagacité économique, la Russie n’a toujours pas été ruinée par les sanctions occidentales.) C’est dans un cercle au rayon de 4.000 km autour de Hong Kong, dans lequel vit plus de la moitié de la population mondiale, que la croissance à venir se produira.
Elle sera « ricardienne », soutenue par la construction d’infrastructures, prédit Gave, et n’utilisera ni le dollar, ni l’euro, ni le SWIFT. L’or, par contre, y jouera un rôle. Quant à vous situer dans Les Mondes de demain, Gave a plus qu’une petite idée. Pour l’excellente facture de son édition, son style alerte, voilà un essai décapant qui, quel que soit l’âge de celui auquel il est offert, plaira sous l’arbre de Noël.
Les mondes de demain, Charles Gave, 176 pages, Editions Pierre de Taillac.
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L’Europe en pleine transition totalitaire
L’affaire des avoirs russes gelés en Belgique, tournant historique.
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GRAND MERCI pour ce texte exceptionnel et GRAND MERCI à Charles Gave qui nous ouvre les yeux et la cervelle!