Voici la transcription de l’intervention de Drieu Godefridi lors d’une soirée-débat « Trump » à Bruxelles, le 19 janvier 2017, à la veille de l’investiture du nouveau président des Etats-Unis.
Mesdames et Messieurs,
Je vous propose d’aborder trois chapitres : 1) comprendre l’élection de Donald Trump; 2) quelles sont les opportunités de cette élection pour l’Europe; 3) la droite américaine est-elle « extrémiste » en comparaison avec la droite européenne ?
Une révolte des classes moyennes
Selon moi, l’élection de Donald Trump s’inscrit dans un mouvement de révolte générale des classes moyennes occidentales, qui voient leur niveau de vie stagner, parfois régresser, alors qu’elles sont soumises à toujours davantage de contraintes. D’abord, la taxation. Si le 1% le plus riche échappe de facto à la majeure part de la charge fiscale, les classes moyennes sont soumises à des impôts toujours plus lourds. Dans des pays tels que la Belgique, la France ou le Danemark, les citoyens actifs sont désormais privés de la majeure partie du fruit de leur travail. À rémunération égale, il leur faut travailler toujours plus pour seulement maintenir leur niveau de vie.
Ensuite, l’hyper-régulation. Si la gauche vit encore dans le mythe de la « dérégulation » censée caractériser l’Occident depuis Thatcher et Reagan, la vérité est que jamais dans l’histoire humaine l’individu n’a ployé sous une masse de normes comparables à celle qui prolifère aujourd’hui dans nos Etats. Le cas européen est intéressant, puisque, par exemple, à la charge nationale — le Moniteur belge publie chaque année 100.000 pages de réglementations nouvelles —, viennent s’ajouter les mille régulations qu’inventent chaque année les institutions européennes. Cette hyperinflation normative vaut tant en masse qu’en domaine, puisqu’il n’existe virtuellement plus un seul compartiment de l’activité humaine, fût-il le plus dérisoire ou le plus intime, qui échappe désormais aux velléités normatives — souvent, pénalisantes — du Législateur sous toutes ses formes. Il n’est pas jusqu’à l’expression d’opinions qui ne soit aujourd’hui promise aux fers de l’Etat pénal, en violation des principes fondamentaux qui nourrissent les racines de notre civilisation.
La dégradation urbaine. N’en prenons qu’un exemple : la mobilité à Bruxelles. Depuis plusieurs années, le nombre de véhicules circulant à Bruxelles est constant (Jacques Deliège, « La mobilité à Bruxelles : comprendre et sauver !”, Arguments — Revue européenne de science, vol. 1, n°1, automne 2016). Or, les embouteillages ne cessent de s’aggraver. Cette immobilité est donc le fruit, non pas de comportements individuels (« externalités »), mais de choix politiques marqués par l’idéologie, en l’occurence environnementaliste.
Autre phénomène, la dégradation de l’école. Au sein de l’OCDE, aucun Etat ne dépense davantage d’argent pour son enseignement (par « tête de pipe ») que ne le fait la Communauté française de Belgique. Or, les résultats PISA de cet enseignement sont parmi les plus médiocres, et en constante régression ! Comment les parents, conscients de financer ce système comme contribuables, l’accepteraient-ils ? Au surplus, ces mêmes parents sont soumis à des contraintes scolaires toujours plus nombreuses, vécues comme aberrantes, telles le « décret inscription », qui annule la liberté de choix de l’école, tout en échouant à créer la « mixité sociale » qui est sa raison d’être.
L’anarchie migratoire. On explique depuis des années aux populations occidentales que l’arrivée massive de migrants est inéluctable, telle un phénomène de nature, et que les clandestins ne doivent pas être éloignés du territoire, en violation des lois votées par les mêmes responsables qui tiennent ce discours. Or, il s’agit là une fois encore de choix politiques, qui n’ont rien d’inéluctables, et nos populations en sont maintenant conscientes.
Enfin, la réinvention du racisme par la gauche. Ayant opté pour la stratégie électorale consistant à représenter, non plus « le peuple », mais les minorités, la gauche occidentale s’est évertuée à les favoriser de mille façons, par la loi et par la subvention, jusqu’à tolérer puis encourager l’expression officielle d’un racisme anti-blanc au sens strict, à l’instar de ce répertoire de journalistes créé par le gouvernement francophone belge, dont la raison d’être est d’exclure les seuls hommes blancs, ou de cette jurisprudence française — relevée par Alain Finkielkraut dans La seule exactitude — qui considère que tous les groupes ethniques sont en France susceptibles de racisme, sauf les Blancs, car ils ne sont pas une minorité.
Voici, selon moi, les phénomènes dont la conjonction explique, de Rome à Baltimore, et de l’Oklahoma à la Bavière, la grande révolte des classes moyennes à laquelle nous assistons actuellement, dont l’élection de Trump n’est que le symptôme le plus visible, de par la puissance de l’Etat à la tête duquel il a été élu.
Changements et opportunités
Cette élection, j’en formule l’hypothèse, est un événement historique important, car tout indique que Donald Trump a l’intention d’appliquer l’essentiel de son programme. Il faut, dès lors, s’attendre à de réels changements de paradigmes qui sont, pour nous Européens, autant d’opportunités.
D’abord, nous allons devoir reconsidérer nos dépenses militaires. En contravention de leurs engagements, la majorité des Etats européens reste nettement en deçà des 2% de PIB de dépenses militaires auxquels ils ont souscrit en 2006. Ce qui signifie, concrètement, que ce sont les contribuables américains qui prennent en charge une partie notable des dépenses de défense européenne : une telle situation n’est pas plus légitime que durable et Trump a annoncé son intention d’y mettre un terme. Ce sera l’opportunité, pour nos Etats, de réaffecter une part de leurs dépenses sociales si ridiculement excessives et contre-productives, à cette mission régalienne entre toutes qu’est la défense.
Que la préservation de l’environnement implique toujours davantage de normes et de taxes, c’est ce qui ne paraît naturel que sur le continent européen. La droite américaine — présidence et Congrès — a clairement pris congé de ces dogmes et le chemin d’une énergie qui sera de moins en moins onéreuse (réduction des subventions au renouvelable-intermittent, fracking, nucléaire). D’ici, les Européens ont deux possibilités. Soit ils réinstallent les questions de l’environnement et du climat dans le champ de la rationalité. Soit ils poursuivent, seuls, leurs lubies environnementalistes, en subventionnant massivement le renouvelable-intermittent et en négligeant le nucléaire, ce qui implique mécaniquement que l’énergie européenne sera de plus en plus onéreuse, et de moins en moins fiable (« blackouts »). Avec la conséquence, à terme, du départ progressif vers les cieux américains et autres de pans entiers de l’économie européenne, telles que la chimie et l’automobile.
Remise en cause des dogmes du « politiquement correct »
Le « politiquement correct » est la police de la pensée correspondant à la stratégie électorale de la gauche : rien ne peut être dit ni fait qui soit ne serait-ce que susceptible de froisser la susceptibilité d’un seul membre d’une minorité quelconque, sexuelle, ethnique ou auto-proclamée. La remise en cause de ces dogmes paralysants et contre-nature aux Etats-Unis offre aux Européens l’opportunité d’une réévaluation critique.
Terminons par les sujets qui fâchent. Tout au long de la campagne, la presse européenne eut soin de mettre en exergue des sujets et déclarations polémiques du candidat Trump pour marquer ce qu’elle considère comme « l’extrémisme » de la droite américaine, tellement éloignée de la droite européenne, plus raisonnable. Prenons-en quatre illustrations :
1. L’idée qu’ « un Etat obèse est un Etat impuissant » : Trump a annoncé son intention de réduire de 20% l’emploi public fédéral;
2. L’idée que les clandestins doivent être éloignés du territoire, ainsi que les prêcheurs de haine islamiques;
3. La tentation totalitaire de l’écologie, « fournissant un havre aux thèses marxistes désormais inavouables comme telles »;
4. Le caractère liberticide de ces mille petites normes qui s’inflitrent dans le détail de la vie quotidienne des citoyens, aussi anti-économiques que négatrices de la liberté dans son sens le plus élémentaire.
Voilà quatre idées indubitablement centrales dans le programme de la droite américaine, c’est exact. Mais les citations ne sont pas de Donald Trump. Elles sont d’un certain Jean Gol, Librement, 1992.
Je vous remercie pour votre attention.
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Cette intervention de Drieu Godefridi a été prononcée lors de la soirée-débat publique, organisée et animée par le Sénateur Alain Destexhe au siège du Mouvement Réformateur, en présence de M. le Ministre des Affaires étrangères Reynders et de Michael R. Kulbickas, des Republicans Overseas Belgium, le 19 janvier 2017, à la veille de l’investiture du nouveau président des Etats-Unis. Drieu Godefridi est Docteur en philosophie (Sorbonne) et juriste (UCL – ULB) et l’auteur de divers ouvrages sur les problématiques sociétales actuelles.
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