La Chine 3.0, fusion de la Chine d’hier, d’aujourd’hui et de demain ? Quand vous rencontrez des chefs d’entreprise, des cadres et des employés chinois dans la vie professionnelle de tous les jours, en tête-à-tête ou non, en Chine ou ailleurs, il est des constantes : la piété familiale ; la conviction que, dans les circonstances, le régime en place est le meilleur qui soit pour la Chine ; l’égoïsme et l’idée que c’est une vie de chien mais demain sera un autre jour.
A l’heure où la démocratie occidentale paraît rencontrer quelques avatars, s’essouffler dans les aléas de l’égalitarisme et patauger dans les vicissitudes de l’étatisme, le régime à la fois marxiste et capitaliste de la Chine de Xi Jinping propose-t-il, aux pays asiatiques et autres si affinités, un modèle alternatif de gouvernement et en quoi consiste-t-il ? C’est notamment à ces questions que tente de répondre François Bougon, ancien correspondant de l’AFP à Pékin et chef-adjoint du service international du Monde, spécialiste de l’Asie, dans son essai « Dans la tête de Xi Jinping ».
Dans son livre Easternisation, dont Palingénésie avait fait une ample recension, Gideon Rachman, le rédacteur en affaires étrangères du Financial Times, racontait l’entrevue en 2013 d’un groupe de dignitaires occidentaux, dont deux anciens Premiers ministres européens et un certain nombre d’éminents personnages du monde académique et de celui des affaires, avec le Président Xi dans le palais présidentiel à Pékin. Après qu’ils eurent été alignés pour la photo de groupe, ils eurent droit à l’allocution présidentielle, dans laquelle Xi Jinping fit allusion à ce que les origines de la civilisation chinoise remontent à plus de cinq mille ans. Chacun dans la salle interpréta ce propos comme une mise en perspective de ce que représentent les 250 ans d’histoire de l’Amérique et, bien sûr, comme une marque d’affirmation de soi de la Chine.
François Bougon fait état de cette entrevue dans son essai et confirme que les Etats-Unis constituent en effet le grand rival aux yeux des Chinois, qui poussent l’esprit d’émulation avec l’Amérique jusqu’à évoquer l’existence d’un « rêve chinois ». C’est, relève-t-il, Xi Jinping qui le premier en parla, peu après son intronisation à la tête du Parti, et pas n’importe où, mais lors d’une visite au Musée de la Chine, dont la superficie n’est inférieure qu’à celle d’un seul autre musée au monde, à savoir celui du Louvre. En quoi consiste le « rêve chinois » ? En deux mots : renouveau et grandeur.
« La Chine, sous Xi Jinping, est entrée dans une nouvelle phase de son histoire, après deux périodes distinctes qui couvrent une soixantaine d’années : trente ans de maoïsme et trente ans de socialisme de marché », constate François Bougon. Ceux qui avaient vu en Xi Jinping un possible réformateur, en seront pour leur frais : « ils attendaient Gorbatchev, c’est un Poutine chinois qui a émergé ».
Pour Xi, loin de devoir s’inspirer de l’Occident, la Chine doit renouer avec sa propre culture et ses traditions, celles d’une grande civilisation plurimillénaire, affirmée avec fierté par une machine de propagande sans pareille. Dans cet héritage, François Bougon épingle un courant de pensée qu’il juge particulièrement pertinent pour comprendre la direction chinoise, à savoir celui du « légisme » dont le maître, Han Fei, vécut au IIIe siècle avant notre ère.
Cet anti-rousseauiste avant l’heure était convaincu que la nature humaine est foncièrement mauvaise et que tout système de gouvernement qui se veut stable et durable doit en tenir compte et s’appuyer sur un corps de lois qui, bien loin d’en limiter l’exercice, est inféodé au pouvoir. Il s’agit d’un droit mis au service d’un homme fort et d’un Etat puissant, basé sur l’autorité, le contrôle et la contrainte, un droit à la conception diamétralement opposée à celle de la Rome antique et des Lumières. Bref, la Chine n’est pas un « Etat de droit », mais un « Etat par le droit », sans séparation des pouvoirs ni indépendance de la justice, ni droits individuels, et avec des avocats sous surveillance rapprochée.
Si Mao s’inspira déjà sans vergogne du « légisme », il est un autre courant de pensée dont par contre il fit table rase, qu’il tenait pour responsable de l’arriération de la société chinoise au même titre que le ritualisme et le « familialisme », et qui se trouve aujourd’hui pleinement réhabilité : le confucianisme. Ses valeurs d’harmonie sociale sont profondément ancrée dans la société chinoise. Elles pourraient, selon François Bougon, pallier une certaine atonie du régime qui, ayant perdu, à la mort de Mao, le ressort de la révolution permanente et, à présent, celui de la croissance économique à deux chiffres, se trouverait face à une période de transition, de crise morale, de tensions et d’instabilité potentielle.
Xi Jinping réussira-t-il à faire en sorte que le « rêve chinois » devienne réalité ? « Dans la tête de Xi Jinping », l’essai remarquable de savoir et d’à-propos de François Bougon, à lire absolument par tout qui s’intéresse à l’état du monde, avance que le Président chinois pourrait être son propre pire ennemi, en déchaînant les forces qui, via la libéralisation économique et les réseaux sociaux, s’émanciperont et se retourneront finalement contre lui.
Entre-temps, l’Europe serait bien avisée de s’inspirer de cette réflexion – citée par François Bougon – de Xi Jinping, qui confia au Premier ministre grec : « Votre démocratie vient de la Grèce antique et de Rome, c’est votre tradition. Nous avons notre tradition ». Puissions-nous en Europe méditer ce propos, retrouver les racines de notre civilisation, jeter les bases de sa renaissance, de sa palingénésie (pour employer un mot dont l’étymologie remonte à la Grèce antique), et restaurer l’« Etat de droit ». Puissions-nous donc éviter à l’Europe de devenir un « Etat par le droit » et de verser dans ce « légisme » que le Vieux Continent, aux prises avec une socialisation rampante dans bien des domaines de la vie de tous les jours, semble désormais, lui aussi, privilégier.
Dans la tête de Xi Jinping, François Bougon, 220 pages, Actes Sud.
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