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« C’est au nom de la science… »

« C’est au nom de la science… » Posted on 17 avril 2020Laisser un commentaire

« La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes », écrivit le biologiste, historien des sciences et académicien français Jean Rostand (1894-1977).

Au début du siècle, une théorie se propagea, basée sur un amalgame entre des données scientifiques et des valeurs sociales, le crédit attribué à ces données étant destiné à faire accepter lesdites valeurs : la nature présente bien des dangers, c’est en grande partie la faute des hommes et cela engendre des catastrophes qu’il faut prévenir en s’appuyant sur la science.

C’est en cela que consiste le scientisme que l’on peut définir comme une discipline philosophique qui prétend transposer dans les phénomènes humains et sociaux les acquis des sciences de la nature et des mathématiques.

La théorie dont il est question suscita un mouvement important en Europe, notamment en France et dans les pays scandinaves, ainsi qu’aux Etats-Unis, et l’adhésion d’un grand nombre de scientifiques et d’intellectuels. Ses enjeux utilitaires, économiques et sociaux étaient indéniables. Il s’agissait de sauver l’homme de lui-même et, pour ce faire, de substituer une approche holistique au laisser-faire, l’Etat à l’individu, d’ériger le futur en religion, succédané laïc aux religions officielles, et d’instituer un nouveau clergé – scientifique.

Le siècle est le siècle précédent. Nous sommes en 1904, à Londres. Sir Francis Galton, grand esprit de son temps (1822-1911), anthropologue, explorateur, géographe, météorologue, proto-généticien, psychométricien et statisticien britannique, cousin de Charles Darwin, expose ses idées à l’occasion d’une conférence à laquelle participent un grand nombre de médecins et de scientifiques et les plus grands sociologues. Ses théories font l’objet d’un enthousiasme croissant, au point que nombreux sont ceux qui réclament des mesures législatives.

Il s’agit de façonner l’homme et la société, d’oeuvrer au progrès social et industriel, et, se fondant sur une foi inébranlable dans les connaissances scientifiques, d’organiser la société dans tous les aspects de la vie sur des bases rationnelles et de remplacer la démocratie par une « biocratie » que gouverneraient des médecins, des biologistes et des scientifiques de toutes les disciplines. La théorie en question est l’eugénisme.

Son histoire fit l’objet, en 2010, d’un remarquable ouvrage de Dominique Aubert-Marson, maître de conférences honoraire à l’université Paris-V-René-Descartes où elle a enseigné la biologie cellulaire, la génétique, l’histoire des sciences et la bioéthique. C’est de ce livre que sont extraits la plupart des éléments de cet article.

En un premier temps, la langue française distingue l’eugénique (la science) de l’eugénisme (le projet socio-politique). L’anglais fait l’économie d’un terme : eugenics recouvre les deux notions. Le projet eugénique est scientifique, social et politique. En 1904, Galton le définit comme « l’étude des facteurs soumis au contrôle social et susceptibles d’augmenter ou de diminuer les qualités soit physiques soit mentales des futures générations. Son but est de régler les unions humaines de façon à obtenir le plus grand nombre d’individus aptes à composer la société considérée comme la meilleure. »

Madame Aubert-Marson fait dans son Histoire de l’eugénisme aussi la distinction entre l’eugénisme positif qui favorise les caractères jugés bénéfiques à la reproduction d’individus jugés supérieurs et l’eugénisme négatif qui cherche à éradiquer certains caractères supposés héréditaires et à empêcher la reproduction d’individus répertoriés comme inférieurs, voire à éliminer ces derniers, en raison de considérations économiques ou en vertu d’un idéal racial.

Les premières lois eugéniques sont votées en 1907, aux Etats-Unis, rendant obligatoire la stérilisation des faibles d’esprit et des criminels. Dans un contexte de multiplication des maladies infectieuses (tuberculose, syphilis), des troubles mentaux (faiblesse d’esprit, psychose…) et comportementaux (immoralité, criminalité, délinquance), attribués à la « dégénérescence biologique héréditaire » dont serait responsable l’absence de sélection naturelle dans les sociétés civilisées, plusieurs dizaines de pays démocratiques prendront des dispositions législatives d’inspiration eugénique dans la première moitié du XXe siècle.

« Le programme eugénique est basé sur la science pure, écrivit en 1931 Leonard Darwin, économiste et parlementaire anglais, l’un des fils du grand naturaliste, dans Qu’est-ce que l’eugénique ? Mais c’est dans l’idéal de la religion (…) que l’eugénique doit trouver sa force motrice nécessaire à la lutte pour le progrès humain, lutte à laquelle la nation doit faire face. »

« C’est au nom de la science que les pires horreurs ont été proposées et parfois réalisées », rétorqua le généticien français Albert Jacquard. « Le progrès de la connaissance, longtemps synonyme de Progrès de l’Humanité, ne va-t-il pas aboutir à l’inféodation sinon à l’anéantissement de notre espèce ? »

C’est en Allemagne nazie que les pires infamies furent commises au nom de l’eugénisme. Jusqu’à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’eugénisme allemand ressembla à celui des pays anglo-saxons. Sans le serment d’allégeance des plus grands scientifiques et intellectuels allemands et le ralliement de centaines d’autres et d’une partie considérable de la communauté médicale, jamais Hitler n’aurait pu, selon Dominique Aubert-Marson, appliquer les idées racistes qu’il avait développées dans Mein Kampf et que n’auraient peut-être pas désavouées de nombreux eugénistes de l’époque.

L’historien Guy Bechtel constate dans Délires racistes et savants fous que « le savant n’a jamais été à l’abri des préjugés de son temps, des pesanteurs de sa condition sociale, du nationalisme ambiant, de la volonté de blesser les autres, sans parler de haine et de racisme inconscient. »

L’eugénisme, drame absolu dans l’histoire du XXe siècle et du progrès, reste aujourd’hui un sujet tabou. Que cette idéologie ait été marquée par l’alliance compromettante de la Science et du Pouvoir et ait été soutenue par de grands industriels et financiers, pas seulement en Allemagne nazie, explique sans doute que le sujet ne soit habituellement pas abordé par les historiens, ou, quand il l’est, de manière floue.

Et pourtant, « méfions-nous de croire que ce passé est révolu », écrit dans sa préface à l’Histoire de l’eugénisme le neurologue et neurobiologiste Hervé Chneiweiss.

Certaines pratiques de procréation médicalement assistée ainsi que le fait que 43% des décès liés au coronavirus en Belgique aient été constatés dans les maisons de retraite et que, comme le dénonce une carte blanche publiée le 14 avril 2020 dans Le Soir, la société belge ait décidé que les vies de ces aînés confinés comptaient bien moins que celles des « actifs », voire qu’elles ne comptaient pas, n’indiquent-ils pas que l’eugénisme reste bien d’actualité ?

Histoire de l’eugénisme, Dominique Aubert-Marson, Editions Ellipses, 360 pages.

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Ne voyez dans ce qui précède aucune inférence par rapport à la théorie qui, en cette première moitié du XXIe siècle, sous-tend l’écologie politique, puisque « 97% des savants de la planète » corroboreraient cette vision scientiste du monde et sa portée totalitaire et liberticide… Et, que la députée écologiste néerlandaise de Jonge van Ellemeet – du parti Groen-Links, ça ne s’invente pas ! – ait préconisé de diminuer les soins de santé prodigués aux personnes âgées de plus de 70 ans n’a rien à voir avec l’eugénisme. Ce n’est qu’une simple coïncidence, fussent-ils, écologisme et eugénisme, tous deux d’inspiration malthusienne. On vous trompe énormément – L’écologie politique est une mystification est désormais aussi disponible au format Kindle. Commandez-le en suivant ce lien !

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