A ceux d’entre vous qui ne se seraient pas sentis concernés par la recension parue la semaine passée du dernier ouvrage de l’éminent économiste Patrick Artus, rappelons que s’applique à l’économie ce que Montalembert dit de la politique (« vous avez beau ne pas vous occuper d’économie, l’économie s’occupe de vous tout de même ») et que reste aussi d’actualité cette citation de Raymond Aron : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. »
La thèse de Patrick Artus est que l’équilibre économique actuel repose sur l’austérité salariale et se formule comme suit : austérité salariale → inflation faible → assouplissement monétaire → taux d’intérêt bas → déficits budgétaires → envolée de l’endettement public. Cet équilibre précaire est assuré par les déficits publics qui compensent la faiblesse de la demande des ménages au prix de l’endettement, lequel prix est quasiment nul tant que les taux d’intérêt restent à leur niveau actuel. Comment en sortir ? s’interroge l’économiste français dans son livre 40 ans d’austérité salariale.
Selon Patrick Artus, la fin de l’histoire risque de consister en une crise grave, politique et sociale s’il n’est pas mis fin à l’austérité salariale (qu’il attribue au système néolibéral en vigueur depuis 40 ans) ; économique et financière, soit si les banques centrales ne réagissent pas à une flambée d’inflation et provoquent le déséquilibre, l’instabilité et la spéculation sur les marchés, soit si, dans l’hypothèse d’une flambée d’inflation, elles augmentent les taux d’intérêt et provoquent ainsi la faillite du système et des Etats zombies fortement endettés (voir la liste restreinte dans l’article précédent).
En effet, comment en sortir ? Patrick Artus préconise d’en sortir « avec lenteur » et d’étaler la hausse salariale et la remontée des taux d’intérêt sur une période de huit ans, en concédant que « la probabilité de disposer de huit années d’économie « tranquille » est assez faible ».
Le livre de Patrick Artus contient sa propre réfutation dans la mesure où, en tout premier lieu, il cite deux exemples qui ne confortent pas sa thèse : la France, où les salaires ont suivi la productivité, et l’Italie, où la productivité n’a pas augmenté. Mais, selon lui, ça resterait la même chose !
En France, écrit-il, « le problème est la hausse du poids des dépenses contraintes » dans les salaires disponibles. Le prix de l’immobilier a augmenté de 1998 à 2019 « de 60 % de plus que les salaires » et le prix de l’énergie (électricité, carburants) a augmenté de « 40% de plus que l’ensemble des prix ». Il parle d’un « prélèvement sur le revenu ».
Mais alors, peut-on encore parler d’« austérité salariale » de nature néolibérale ? S’agit-il encore à proprement parler d’un « prélèvement sur les salaires pour nourrir les profits » ?
Ne s’agit-il pas plutôt, d’un côté, d’une hausse due à l’« airbnbisation » et à la russification – ou les deux ! – de l’immobilier, notamment à Paris, voire à l’augmentation des revenus des représentants et des serviteurs de l’Etat et des cadres supérieurs des grands groupes financiers et industriels inféodés à l’Etat français, et, du côté de l’énergie, du résultat d’une forme de « rage taxatoire » à connotation idéologique à la suite de la politique énergétique débile menée par le gouvernement français ?
En ce qui concerne le lien entre l’austérité salariale et la faible inflation, la corrélation joue-t-elle dans ce sens ou dans le sens inverse, faible inflation → austérité salariale, par exemple au Japon, lequel (cité par Patrick Artus) a subi une concurrence frontale de la Chine sur ses marchés à l’exportation, et en Belgique, où les salaires sont indexés sur l’inflation et où le marché du travail n’a nullement été flexibilisé, bien au contraire (la flexibilisation du marché du travail étant considérée une source d’austérité salariale) ?
Que la stagnation salariale des ces 40 dernières années soit le résultat – et non la cause – de la faible inflation semble corroboré par les effets du prodigieux développement de l’électronique et de ses applications dans les domaines du traitement de l’information et des communications (que l’on se souvienne des conjectures de Moore datant de 1975 relatives à la montée en puissance de calcul des ordinateurs).
La technologie a directement ou indirectement entraîné la transformation de quantité de secteurs d’activités où elle a induit une formidable déflation des prix, voire l’apparition de services gratuits. La structure de l’emploi en a été modifiée en profondeur, nombre de fonctions étant transférées aux utilisateurs et consommateurs eux-mêmes (la banque n’en est-elle pas un parfait exemple ?). Ce n’est pas ici non plus l’idéologie néolibérale qui est à l’oeuvre, mais la technologie.
En incriminant l’austérité salariale au néolibéralisme, Patrick Artus ne prend-il pas son « équation » à l’envers ? Ne faudrait-il pas l’énoncer comme suit : déficits budgétaires → envolée de l’endettement public → assouplissement monétaire → taux d’intérêt bas (répression financière + piège de la liquidité) → inflation faible → austérité salariale ?
Et, les déficits budgétaires ne servant pas aux investissements productifs à long terme mais à la couverture des dépenses courantes et à l’entretien du clientélisme, n’est-ce pas en commençant par là et en redonnant le goût d’entreprendre aux vrais entrepreneurs (Patrick Artus ne l’a malheureusement jamais été, d’où un certain dédain à l’égard des petites entreprises) qu’il faut agir pour arrêter le compte à rebours de la spirale infernale? Nous ne manquerons pas d’y revenir !
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