Antoine Dresse est un philosophe belge, né en 1996 à Liège, qui anime sur YouTube une chaîne vidéo très suivie, « Ego Non », dédiée à la philosophie politique. Avec Clotilde Venner, il avait co-écrit le livre À la rencontre d’un cœur rebelle, Entretiens sur Dominique Venner paru à La Nouvelle Librairie. C’est dans la collection « Longue Mémoire » de la même maison d’éditions qu’il a publié en 2024 son remarquable petit essai sur Le réalisme politique, Principes et présupposés, dans lequel il convoque les pensées de Machiavel, de Hobbes et de Carl Schmitt et s’appuie sur les commentaires qu’ont faits d’autres théoriciens du fait politique, dont Julien Freund, notamment dans L’Essence du politique (2004).
Morale, science et politique
La thèse de Dresse est que le fait politique est un domaine autonome, qui suit ses propres lois et est distinct des idées qu’il transporte, idées s’entendant comme idéaux et normes, concepts (idée de l’État, de la nation, etc.) et esprit du temps (tendances de l’époque). Ces trois acceptions, relève-t-il, possèdent une valeur prescriptive et supposent une mise en application pratique, « subordonner ce qui est à ce qui devrait être », raison pour laquelle moralistes, idéalistes, technocrates, « clergés » de toutes sortes essaient de s’emparer de l’« art des possibles » qu’est la politique, mais cela ne correspond pas à sa nature, ni, pour cette raison, à leurs attentes.
Dresse insiste sur l’hétérogénéité entre morale, science et politique et, partant, sur le fait que son livre n’a pas pour objet de proposer une doctrine politique, ni même des principes qui permettent d’en définir une. Aux idéologues qui ont prédit la fin de l’Histoire et qui aujourd’hui prédisent la fin de la Politique (ou persistent à confondre morale et politique « pour se donner bonne conscience et pouvoir justifier une œuvre faite de malhonnêteté, de ressentiment et de rapacité »), il répond qu’une fois que les liens parentaux et tribaux n’y suffisent plus, l’homme, animal social et historique, a besoin du politique pour s’organiser en société et que la progression de celle-ci échappe aux lois déterministes.
Le projet n’est donc pas d’étudier la politique dans sa pratique courante, mais le cadre conceptuel dans lequel elle s’exerce. Quand il est question d’établir une relation entre droit, morale et pouvoir, un penseur sort du lot, avance Dresse qui confie l’avoir découvert tôt dans la bibliothèque familiale et le relire régulièrement, c’est Machiavel (1469-1527), bien moins « machiavélique », dit-il, qu’il n’est en vérité honnête, par exemple en avouant qu’il vaut mieux paraître pieux que de l’être. Machiavel présuppose que tous les hommes sont méchants (Fichte, parmi d’autres, le rejoint) et qu’ils donneront libre cours à leur méchanceté s’ils en ont l’occasion. Il n’a donc pas l’ambition de construire un État idéal, mais de découvrir les règles qui président au gouvernement des hommes et en assurent la plus grande efficacité.
Les forces obscures
Si Machiavel s’avère un brillant technicien de l’action politique, son œuvre ne permet toutefois pas, accorde Dresse, s’en référant à Pierre Manent, de déduire la légitimité, la convenance, voire même la nécessité des institutions dans lesquelles l’action politique doit se déployer. C’est une lacune que comble Thomas Hobbes et sa pensée de l’obéissance. L’humanitarisme démocratique moderne a beau en discréditer la notion, fait observer Julien Freund dans son ouvrage cité ci-avant, il ne peut exorciser complètement les forces obscures qui animent le commandement et l’obéissance au coeur du politique. Les hommes, explique Hobbes, acceptent de céder une part de leur liberté et d’obéir afin de se protéger les uns les autres, par la force s’il le faut, de la guerre de tous contre tous, de leur « état de nature ». La légitimité du souverain est à la mesure de sa capacité d’assurer cette protection (la sécurité).
Carl Schmitt (1888-1985) se présente comme un successeur de Machiavel et Hobbes. A cet égard, un point essentiel de la pensée du juriste et philosophe allemand est, selon Dresse, son insistance sur la guerre – et non la paix – comme horizon du politique. Ce point est à la base de sa critique de la démocratie libérale, en ce qu’elle nierait le rapport originel au conflit et consisterait en la négation du politique.
L’Etat total
En outre, Schmitt regrette que l’on fasse la confusion entre le politique et l’Etat alors que, se transformant en Etat total, c.-à-d. interventionniste dans toutes les sphères hétérogènes de la société moderne, l’État en perd sa dimension politique pure, qui est liée à l’exercice de ses fonctions régaliennes. Le critère pour l’y ramener est celui évoqué par Schmitt dans La notion de politique, à savoir la discrimination ami-ennemi. « Croire qu’un peuple sans défense n’aurait que des amis » serait stupide, écrit-il. « Qu’un peuple n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique [c.-à-d. nommer ennemis ses ennemis], ce n’est pas la fin du politique dans le monde, c’est seulement la fin d’un peuple faible. »
La leçon de Réalisme politique d’Antoine Dresse est éminemment actuelle. « Il faut être machiavélien, observe Julien Freund, pour être en mesure de pénétrer le machiavélisme de nombreux projets actuels qui promettent une prochaine libération totale de l’homme ou une modification radicale de la société. »
Le réalisme politique, Principes et présupposés, Antoine Dresse, 72 pages, Editions de La Nouvelle Librairie.
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