Robert Tracinski partage ses vues sur la politique et la culture dans The Tracinski Letter, ses billets publiés sur Substack. Il suit une ligne libérale classique (défense de la liberté, de l’économie de marché, de la limitation du rôle de l’Etat). Sur Substack, il anime aussi le podcast Symposium dans lequel il donne la parole à des membres du corps académique et à des intellectuels au sujet du libéralisme politique et dirige l’Executive Watch dans The UnPopulist, une publication qui s’engage à défendre les sociétés libres et ouvertes contre toutes les formes d’autoritarisme, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs.
De Dictator From Day One : How Donald Trump Is Overthrowing the Constitution and How to Fight Back paru à la fin du mois de septembre et disponible sur Amazon, Steven Pinker (l’auteur du bestseller Enlightenment Now, traduit sous le titre Le Triomphe des Lumières) affirme qu’il est à ce jour le meilleur ouvrage succinct qui décrit ce qui en fait l’objet, à savoir la transformation des Etats-Unis en une dictature.
Le 250e anniversaire sera-t-il encore celui d’un pays libre ?
Tracinski avertit sans ambages : les Etats-Unis ont récemment célébré, en tant que nation fondée sur les droits individuels et le consentement des gouvernés, le 249e anniversaire de leur fondation ; cette année, la célébration a été discrète et teintée d’un sentiment d’appréhension, car il n’est pas certain qu’ils atteindront leur deux cent cinquantième anniversaire en l’état. La question n’est pas de savoir si les Etats-Unis continueront d’exister, mais s’ils continueront d’exister comme pays libre. Nous sommes une nation fondée sur des idées, explique-t-il, qui mettent en avant non des privilèges ou des intérêts de classe, mais les droits des individus et la valeur universelle de la liberté.
Depuis le début de son second mandat, Trump n’a cessé, jour après jour, expose-t-il, de centraliser tous les pouvoirs en sa personne. Le livre met en évidence cinq angles d’attaque (« prongs ») de Trump contre l’ordre constitutionnel américain : 1) il a privé le Congrès du pouvoir de contrôler les dépenses ; 2) il a mis en place un vaste appareil permettant d’arrêter et d’emprisonner des personnes sans procédure régulière ; 3) il a défié les tribunaux et manigancé pour restreindre leur pouvoir ; 4) il a cherché à contrôler l’économie en exerçant des pouvoirs arbitraires en matière de fiscalité et de réglementation ; 5) il a exercé un contrôle sur des institutions indépendantes comme les universités et la presse.
Cette problématique, fait-t-il remarquer, sort des délimitations politiques habituelles gauche-droite, pour autant qu’elles soient encore d’actualité. En effet, n’est-il pas étrange qu’un président qualifié de « droite » et donc censé être partisan du libre marché cherche à établir une mainmise centrale sur l’économie ? La dictature n’est pas une question de gauche ou de droite. D’ailleurs, ajoute Tracinski, les Etats-Unis n’en sont pas arrivés là inopinément, ni même seulement sous l’actuel président. Ses prédécesseurs ont obstinément étendu le caractère « impérial » de la présidence pendant un siècle, créant l’opportunité pour un dirigeant dépourvu de toute capacité de maîtrise de soi de pousser le pouvoir de l’exécutif au-delà de toutes les limites.
La théorie de l’exécutif unitaire
Trump ne représente pas une rupture brutale par rapport au passé, mais un saut « qualitatif » dans un processus déjà engagé. En outre, le type de régime qu’il vise à instaurer, sorte d’autocratie exécutive, n’est pas nouveau. Il fait l’objet d’une doctrine constitutionnelle, la « théorie de l’exécutif unitaire » (en anglais : « unitary executive theory »). Cette théorie a été décrite par un professeur de droit de la New York University, Peter Shane, dans le magazine en ligne The UnPopulist mentionné ci-avant comme suit :
« [Elle] repose sur deux prémisses fondamentales. La première est que le président, d’un point de vue constitutionnel, constitue à lui seul le pouvoir exécutif. Le président, selon les termes utilisés par la Cour [suprême] dans un arrêt de l’année dernière sur l’immunité présidentielle, est « la seule personne qui compose à elle seule un pouvoir du gouvernement ». La seconde est qu’en conférant « le pouvoir exécutif » au « président », la Constitution a donné à ce dernier l’intégralité du pouvoir exécutif du gouvernement, non pas « une partie du pouvoir exécutif, mais tout le pouvoir exécutif », selon les termes du juge Antonin Scalia, aujourd’hui décédé, qui avait mis en italiques les mots « une partie » et « tout ». »
Il s’agit, récapitule Tracinski, d’une théorie selon laquelle une seule personne devrait exercer tout le pouvoir, ce qui correspond précisément à la définition de la dictature. Cette conception du pouvoir exécutif, qui est celle de Trump et dans laquelle toutes les décisions sont concentrées sur sa personne, est un rejet de la tradition constitutionnelle américaine fondamentale de partage du pouvoir.
En effet, la Constitution américaine repose sur l’idée qu’aucun organe, ni le président, ni le Congrès, ni les juges, ne doit pouvoir exercer un pouvoir illimité. Cette conception du pouvoir est héritée de Montesquieu et se traduit par le système connu sous le nom de « checks and balances ». La théorie d’un pouvoir exécutif étendu et exclusif revient à nier cette séparation des pouvoirs et ouvre la voie à un gouvernement d’une seule personne.
Trump n’a pas encore aboli les élections (mais il fait procéder à de savants redécoupages de districts électoraux) et il ne s’est pas autoproclamé « Líder máximo » ou appellation du même genre, mais, estime Tracinski, quand le pouvoir de décider réside en une seule personne et que les autres centres de pouvoir sont neutralisés ou subordonnés, on tombe dans un régime « dictatorial » même sans changement formel de constitution.
De fait, la présidence américaine est devenue au fil du temps beaucoup plus puissante que les pères fondateurs de la république américaine ne l’avaient conçue à l’origine. Sous Trump, on aperçoit une tentative de subordonner tous les autres pouvoirs à la présidence et un danger de la voir exercée en fonction d’intérêts particuliers, voire personnels. Il est plausible de craindre avec Tracinski que, si les Etats-Unis persistent dans cette voie et si les garde-fous politiques et judiciaires s’érodent, le régime ne se transforme en tout autre chose que ce que l’on a connu jusqu’à présent. Quant à comparer cette évolution avec celle de l’Europe, cela sort du cadre de cet article mais cela ne manquerait pas d’intérêt.
Dictator From Day One : How Donald Trump Is Overthrowing the Constitution and How to Fight Back, Robert Tracinski, 160 pages, TPC Books.
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Ça f… les jetons..
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Pour qu’un président, ou tout autre détenteur d’un pouvoir qui lui a été délégué, devienne un dictateur ou un empereur, il lui faut nécessairement le soutien actif de moutons suiveurs (ceux qui « ne savent pas ce qu’ils font »), d’asservis consentants (ceux qui « obéissent aux ordres » afin que l’ordre règne), et de maîtres à penser (ceux qui s’ingénient à manipuler l’empereur dans le sens de leurs préférences économiques ou sociopathes). L’opposition doit aussi être faible et désorganisée
La focalisation sur D. Trump fait oublier qu’il n’est rien sans ces trois soutiens. Trump focalise trop sur sa propre personne, son leadership est débile aux deux sens du terme; MAGA n’est pas une idéologie mais un slogan oxymore. Ses déboires et rabibochées avec Elon Musk et ses relations ambigues avec les géants de « la tech » montrent que cette troisième catégorie n’est pas [encore] alignée comme une fascisation l’exigerait. Si le parti démocrate remplit les conditions de faiblesse, ce n’est pas le cas de l’armée qui ne l’applaudit pas du tout.