Sans doute certains considèrent-ils que ma qualité de résident d’un pays qui exporte près de 50% de son PIB et de chef d’une entreprise ayant son siège en Wallonie, là où s’est manifesté un bastion de réfractaires de la dernière heure, me confère une compétence particulière pour parler de l’accord économique et commercial global, curieusement plus connu sous son acronyme anglais « CETA » (pour Comprehensive Economic and Trade Agreement), que le Parlement européen a ratifié. « Ich bin ein Wallon », ont même cru devoir me communiquer des partenaires allemands à l’époque du « non » wallon. J’ai trouvé cela curieux venant d’un pays qui exporte lui aussi près de la moitié de son PIB, ses automobiles, bien sûr, mais aussi le « made in Germany » façonné par son Mittelstand.
Je n’ai pas lu les 454 pages du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, pas plus, j’imagine, que ne les ont lues la plupart des commentateurs, les vociférateurs les plus vocaux estimant de toute évidence que « c’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gu… ». J’ignore donc si – mais je doute que – ce traité de libre-échange nous oblige à manger des produits d’une agriculture transgénique et d’un élevage à la réalité augmentée (si tant est que ce soit de pratique courante au Canada).
En outre, a-t-on attendu, dans la patrie de la pensée et de la gastronomie étoilée, l’entrée en vigueur de cet accord de libre-échange pour ajouter un peu de cheval dans des pains de viande destinés à la préparation de plats cuisinés et censés ne contenir que du boeuf ? Ledit accord nous priverait-il du droit de choisir des produits d’une filière locale et traçable ? De préférer le poisson de nos mers et de nos rivières au seafood du Pacifique et le blanc bleu belge (ou le boeuf limousin, pour ne vexer personne) au bison des plaines amérindiennes ?
A cet égard, les préambules du traité devraient pourtant rassurer ceux qui ont pris le temps de le lire. Il s’agit certes de créer « un marché élargi pour les marchandises et services par la réduction ou l’élimination d’obstacles au commerce et à l’investissement » entre le Canada et l’Union européenne mais les parties réaffirment « leur profond attachement à la démocratie et aux droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme faite à Paris le 10 décembre 1948 » et reconnaissent que « les dispositions de l’accord maintiennent pour les parties leur droit de fixer des règles sur leurs territoires et la latitude dont elles ont besoin pour réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que ceux visant la santé publique, l’environnement, la sécurité et la moralité publique ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle. »
Qui plus est, la Commission européenne explique, dans sa communication au sujet de l’accord économique et commercial global avec le Canada, que cet accord devrait contribuer à la croissance et à l’emploi en Europe, comme ce fut le cas d’autres accords de libre-échange conclus par l’Union européenne, par exemple celui avec la Corée du Sud, accord dont l’entrée en vigueur a été suivie d’une hausse des exportations de l’UE vers ce pays de 55 % pour les marchandises et de plus de 40 % pour les services.
Alors, direz-vous, pourquoi les représentants de la Wallonie, une région de 3,6 millions d’habitants où le taux de chômage officiel dépasse allègrement les 10%, ont-ils tenu en haleine les quelque 500 millions d’autres Européens peuplant l’Union en tentant de bloquer un traité que les 27 autres Etats de l’Union avaient déjà entériné ? Cela n’avait évidemment rien à voir avec le CETA et tout à voir avec la Belgique, ce pays où seul le surréalisme règne et où le (con)fédéralisme se greffe à l’emporte-pièce.
En effet, depuis les dernières élections législatives en Belgique, les représentants francophones au gouvernement fédéral belge et les membres du gouvernement wallon sont issus de partis politiques différents et, du coup, il n’est pas un dossier dans lequel le gouvernement wallon et les partis de l’opposition francophone ne cherchent à tailler des croupières au parti francophone qui occupe seul tous les sièges dévolus aux Francophones dans le gouvernement fédéral (linguistiquement paritaire). L’affaire s’est même corsée lorsque les deux partis au pouvoir en Wallonie ont profité de l’aubaine du CETA et de la ferveur médiatique et populaire contre le traité vilipendé pour se mettre à faire de la surenchère entre eux afin de se faire valoir auprès de l’électeur. C’eût été franchement désopilant si ce n’était complètement irresponsable.
Et, après que les cerveaux wallons se furent enfin désembrumés, Mélenchon de twitter : « #CETA : La Belgique a capitulé. Les chars du libre-échange entrent dans Bruxelles. Cette Europe-là, ça suffit. On la change ou on la quitte ! » Auriez-vous, Monsieur Mélenchon, en lisant – si vous les avez lues – les 454 pages du traité de libre-échange avec cette belle et grande démocratie qu’est le Canada, abusé du pékèt au sirop d’érable ? Que nos alliés et amis canadiens prennent garde à ce que les valeureux Wallons et quelques autres politiciens de la même aune ne profitent de l’accord global avec le Canada pour y exporter leur incommensurable génie politique transgénique à la réalité augmentée !
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