L’Economist Intelligence Unit (EIU), la division « recherches et analyses » du groupe The Economist, a organisé au début du mois un séminaire en ligne de présentation de son indice de la démocratie en 2019 (Democracy Index 2019) publié quelques jours plus tôt, séminaire dans lequel intervenaient Joan Hoey, la responsable de l’étude, et Agathe Demarais, la directrice du bureau de prévisions de l’EIU.
Cette division du groupe The Economist fut créée en 1946 et jouit d’une expérience de près de trois quarts de siècle à aider les entrepreneurs, les financiers et les dirigeants politiques à comprendre comment le monde évolue, quelles en sont les opportunités et les risques. C’est dans cet esprit qu’a été créé l’indice de la démocratie, en 2006, un indice dont les présentatrices du « webinar » se targuent de ce qu’il soit l’un des plus anciens et des plus complets au monde.
L’indice s’appuie sur 60 critères répartis en cinq catégories : le processus électoral et le pluralisme, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, la culture politique et les libertés civiles. La notation s’effectue selon une échelle allant de 0 à 10 et à partir de cette note les pays sont classifiés selon quatre régimes : démocratie accomplie, démocratie imparfaite, régime hybride ou régime autoritaire.
Près de la moitié de la population mondiale vit en démocratie
Selon les estimations de l’Economist Intelligence Unit, près de la moitié de la population mondiale (48,4%) vit dans une forme de démocratie, mais seulement 5,7% résident dans une « démocratie accomplie », contre 8,9% en 2015, conséquence de la rétrogradation des États-Unis d’une pleine démocratie à une démocratie imparfaite en 2016. Plus d’un tiers de la population mondiale (35,6%), dont une grande partie se trouve en Chine, vit sous un régime autoritaire.
D’après l’indice de la démocratie 2019, 76 des 167 pays couverts par le modèle, soit 45,5% de tous les pays, peuvent être considérés comme des démocraties. Le nombre de démocraties accomplies est passé à 22 en 2019, contre 20 en 2018, le Chili, la France et le Portugal ayant rejoint les pays les mieux classés (ceux ayant obtenu un indice global supérieur à 8,00), tandis que Malte a été reléguée dans la catégorie des démocraties imparfaites.
Le nombre de démocraties imparfaites a diminué d’une unité à 54 en 2019. Sur les 91 pays restants de l’indice, 54 sont des régimes autoritaires, contre 52 en 2018, et 37 sont classés parmi les régimes hybrides, contre 39 en 2018. (L’indice ne tient pas compte des « micro-Etats ».) (Graphique ci-dessous : The Economist)
Moyenne générale la plus basse depuis la création de l’indice
65 pays ont obtenu un score supérieur en 2019 par rapport à 2018, 68, un score moindre. La moyenne générale s’avère toutefois la plus basse depuis la création de l’indice en 2006, en raison de la détérioration de la situation en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. De tous les pays, la Thaïlande a enregistré l’avance la plus grande, la Chine a subi le recul le plus important.
Différents éléments ont influencé en sens divers les notations pour 2019. Les deux intervenantes du séminaire en ligne évoquèrent les manifestations populaires, signe d’une participation accrue dans la vie politique, à la suite d’une insatisfaction du public à l’égard des politiciens en place et d’un manque de confiance dans les institutions. Ces facteurs sont corrélés et peuvent avoir une incidence positive sur la notation d’un pays s’ils entraînent par exemple une baisse de la corruption et plus de transparence, négative quand c’est une violence débridée et dévastatrice qui se déclenche.
Recul ou stagnation démocratique en Occident
Une régression ou une stagnation de la démocratie en Occident se reflète dans une baisse des scores moyens des démocraties avancées de l’Europe et des Etats-Unis depuis de un certain nombre d’années. Ce recul démocratique se manifeste de plusieurs façons :
– un accent accru sur la gouvernance des élites et des experts plutôt que sur la démocratie participative populaire ;
– une montée en puissance d’institutions et d’organismes constitués d’experts non élus et non responsables ;
– une sortie de questions de fond d’importance nationale de l’arène politique, questions déférées à des politiciens, experts ou organes supranationaux prenant leurs décisions à huis clos ;
– l’élargissement du fossé entre, d’une part, les élites et les partis politiques et, d’autre part, les électeurs nationaux ;
– la baisse des libertés civiles, y compris la liberté des médias et la liberté d’expression.
Ces tendances régressives sont apparues dans les démocraties achevées dans les années 1990. Elles se sont accélérées dans les années 2000 et ont atteint leur apogée dans la décennie qui s’est clôturée en 2019.
La rétrogradation des Etats-Unis
Les deux conférencières sont revenues sur la rétrogradation des Etats-Unis, pourtant perçus comme parangon de la démocratie pour la qualité de leur processus électoral et pour leur pluralisme, d’une démocratie accomplie à une démocratie imparfaite, en 2016. Encore situés à la 17e place de l’indice de la démocratie en 2010, les Etats-Unis (7,96) terminent la décennie à la 25e. Les causes en précédèrent l’élection de Donald Trump en 2016 et sans doute la favorisèrent-elles, à savoir une frustration grandissante du public envers les institutions, l’impasse institutionnelle continue, la polarisation de l’opinion et le peu d’estime pour les médias.
Le top 5 de l’indice de la démocratie 2019 de The Economist est constitué de la Norvège (avec un score global de 9,87), l’Islande (9,58), la Suède (9,39), la Nouvelle-Zélande (9,26) et la Finlande (9,25). Curieusement, l’Irlande (9,24), le seul pays avec la Norvège à avoir recueilli trois maximums sur les cinq catégories, n’est classée que 6e, handicapée par un manque de participation politique et des lacunes de gouvernance.
La France (8,12) est classée 20e, la Belgique (7,64), 33e et rangée parmi les démocraties imparfaites en raison principale de son manque de participation politique.
Une liste de points à surveiller en 2020
Bien qu’elles insistèrent sur le caractère rétrospectif et non prévisionnel de l’étude, la responsable de cette dernière et la directrice du bureau de prévisions de The Economist indiquèrent quelques points de tension à surveiller en 2020 : les évolutions des situations particulières de la Chine, de l’Inde, de la Thaïlande et des Etats-Unis (en cette année d’élection présidentielle) et, d’une manière générale, dans les démocraties développées, la promulgation de lois restreignant les libertés civiles, le surcroît de réglementation affectant l’usage des réseaux sociaux et la corruption.
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