Poursuivons la réflexion sur les moyens pour l’Union européenne de sortir du marasme économique et social avec l’auteur du livre « Du bon génie de l’inflation à l’ogre de la déflation » dont il était déjà question dans l’article précédent de cette chronique. « L’excès d’endettement, écrit Bruno Colmant, devrait être le seul problème qui préoccupe nos dirigeants » et, prévient-il, faisant écho à l’argument marxiste d’abolition de la propriété privée, ce sera l’inflation ou la révolution ! Tout et n’importe quoi plutôt que la déflation ?
A cet égard, selon Bruno Colmant, l’euro poserait problème : il favoriserait une désinflation compétitive pour les économies du nord de l’Europe et, la monnaie commune empêchant une dévaluation à la carte dans les pays du sud de l’Europe, il pousserait leurs économies dans une déflation « récessionnaire ».
Cet argument, entendu de tous bords, est-il fondé ? Certes, le caractère commun de l’euro empêche les dévaluations à la carte auxquelles certains de ses membres procéderaient si la monnaie leur était propre comme ils les pratiquèrent au temps de la drachme, de la lire, de la peseta, du franc français. Ce procédé leur permettait de déprécier le poids réel de leurs dettes publiques dans leurs économies et de stimuler les exportations au prix d’une inflation importée qui, elle aussi, contribuait à réduire le coût réel des engagements, extérieurs et intérieurs, de ces pays pour autant que lesdits engagements soient libellés dans leurs monnaies nationales et ne soient pas indexés.
S’agissait-il pour autant d’un cercle vertueux ? Ne s’agissait-il pas plutôt d’un cercle vicieux ? Les pays qui s’adonnaient à ce genre d’expédients n’y étaient-ils pas finalement contraints à intervalles réguliers et, au bout du compte, le solde économique était-il positif, nul ou négatif compte-tenu, notamment, du différentiel de taux d’intérêt que le manque de confiance monétaire entraînait ? Un deutsche mark de plus en plus fort a-t-il empêché l’Allemagne de devenir une puissance économique de tout premier rang mondial et un franc français dévalué à répétitions en a-t-il fait autant pour la France ?
L’euro a-t-il fait l’objet d’une erreur de conception, comme le prétendent beaucoup qui pour le reste ne s’entendent sur rien (nationalistes, populistes, socialistes et autres réactionnaires et conservateurs de tout crin, voire même quelques libéraux égarés) ? L’euro n’a-t-il pas plutôt été victime d’une erreur de gouvernance dès lors que les gouvernements des pays les plus faibles ont profité de l’aubaine de taux d’intérêt de l’euro alignés sur ceux du deutsche mark pour s’endetter plus encore et pour financer leurs dépenses de « fonctionnement » au lieu de réduire leurs déficits et d’assainir leurs économies ?
Que les « Euro-allergiques » (1) se réjouissent : la BCE (Banque centrale européenne) s’est fixé un objectif d’inflation de 2% moyennant une politique d’assouplissement monétaire et la réduction des taux d’intérêt à court terme jusqu’à pratiquer des taux négatifs et l’euro s’est déjà fortement déprécié par rapport au dollar américain (la contribution de cette dévaluation en termes d’inflation importée est jusqu’à présent limitée du fait de la faiblesse des cours des matières premières, du pétrole entre autres).
Ce revirement de politique monétaire au niveau européen suffira-t-il à relancer toutes les économies de la zone euro ? Qu’il soit permis d’en douter ! Si l’Allemagne y retrouvera tout son aplomb sur les marchés à l’exportation, quel miracle (en termes de performance économique) la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la France peuvent-elles espérer d’un euro dévalué par rapport au dollar que la drachme, la peseta, la lire et le franc français d’antan ne leur avaient, de fait, jamais procuré dans la durée, même lorsque leurs anciennes monnaies assuraient aux économies de ces pays un illusoire et éphémère surcroît de compétitivité sur le marché intérieur européen ?
Thierry Godefridi
Note
(1) Le terme « Eurosceptique » est réservé à qualifier ceux qui, comme le parti indépendantiste UKIP, abhorrent tout ce qui touche à l’Union européenne à l’exception des rétributions et prébendes qu’ils en soutirent…