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Lavage de cerveau et contrôle de la pensée

Lavage de cerveau et contrôle de la pensée Posted on 9 août 2025Laisser un commentaire

The Rape of the Mind: The Psychology of Thought Control, Menticide, and Brainwashing, l’ouvrage phare du médecin psychiatre et psychanalyste néerlandais et américain Joost Meerloo (1903-1976) paru en 1956, après la Seconde guerre mondiale et la guerre de Corée, est une référence incontournable sur les techniques de manipulation mentale et d’endoctrinement politique dans les régimes totalitaires. A l’exception du titre (« Le viol de l’esprit : La psychologie du contrôle de la pensée, du menticide et du lavage de cerveau »), l’ouvrage n’a toutefois, sauf erreur, jamais été traduit en français.

Meerloo a inventé le mot « menticide », à partir du latin « mens » (esprit) et « caedere » (tuer, d’où vient le suffixe « -cide »), le procédé de dépersonnalisation par lequel l’esprit critique et l’autonomie mentale d’un individu sont réduits et détruits. Il décrit non seulement les techniques de répétition, de peur, d’isolement et de propagande auxquelles les dictateurs et les tortionnaires recourent pour briser la résistance psychique de leurs opposants ou supposés tels et victimes, mais aussi les mécanismes de soumission à l’autorité. Il compare les sociétés libres, dans lesquelles l’individu est encouragé à penser par lui-même, aux sociétés totalitaires, où le conformisme et l’obéissance règnent, et il insiste sur le rôle du langage (« Celui qui dicte et formule les mots et les phrases que nous utilisons, celui qui maîtrise la presse et la radio, maîtrise les esprits. »).

Manipulation des esprits

The Rape of the Mind reste pertinent parce que Meerloo a eu la prescience de ce que les thèmes qu’il a développés seraient d’actualité même dans des circonstances différentes de celles qu’il a analysées et force est de constater qu’ils le sont, qu’il s’agisse de manipulation médiatique, de radicalisation idéologique ou de persuasion de masse, qui plus est dans une ère marquée par les développements technologiques, un autre aspect dont l’auteur a eu la prémonition lorsqu’il écrit : « La technologie moderne apprend à l’homme à considérer comme acquis le monde qui l’entoure ; il ne prend pas le temps de prendre du recul et de réfléchir. »

L’analyse ne se limite pas aux dictatures brutales. Elle concerne aussi les formes plus sournoises de manipulation des esprits, en l’occurrence dans les démocraties, l’intox médiatique déguisée en info, les bulles cognitives (« echo chambers ») grâce aux algorithmes sur les réseaux sociaux, les normes culturelles, la censure sociale, le conditionnement publicitaire, par exemple. « L’esprit de l’homme libre, dit-il encore, peut être violé tout aussi efficacement par la publicité douce que par la torture. »

Meerloo met clairement en garde contre l’hyper-conformisme social (par crainte d’être rejeté – cancelled – si l’on émet une opinion divergente) et le militantisme idéologique (un groupe devient totalitaire, dit-il, quand il cesse de tolérer l’indépendance d’esprit). La démocratie n’est pas totalitaire, par définition, mais elle n’échappe pas au risque du conformisme intellectuel ou social et de ce qu’il appelle le collectivisme rampant, propre à toute formation de groupe où la tolérance pour le non-conformisme disparaît. « Là où le sectarisme dogmatique domine, l’esprit est contraint. On peut même repérer ces travers insidieux dans certains milieux scientifiques où l’on accorde la primauté à la recherche de groupe et au travail d’équipe et l’on méprise l’opinion individuelle. » Le « consensus » en prend pour son grade.

Une pathologie sociale

Meerloo parle du totalitarisme comme d’une maladie. L’individualisme, tant décrié parce qu’il serait responsable de la crise du lien social et constituerait une menace pour la solidarité face aux « grands défis » (climat, pandémie, sécurité…), agit comme vaccin mais il ne nous immunise pas pour autant, en raison de nos immaturités (la peur de la solitude et l’absence de réflexion critique, par exemple) et de nos pulsions personnelles, outre de notre besoin d’appartenance, qui nous rendent vulnérables. Ce n’est pas le narcissisme que préconise Meerloo, mais un individualisme qui pense par lui-même, doute, refuse les slogans et résiste à la foule.

Il n’est plus ici question d’un complot ourdi par un quelconque tyran, mais d’une pathologie sociale résultant de plusieurs facteurs, le besoin humain de sécurité, la fatigue mentale face à la complexité, la soumission à des figures d’autorité (pensez aux « experts »), la répétition hypnotique d’infos-intox et, surtout, l’affaiblissement du jugement personnel, tous susceptibles d’initier une dérive totalitaire dont une classe dirigeante peut exploiter la dynamique sans qu’elle n’en ait nécessairement fomenté le projet. Il s’agit là d’un mécanisme qui facilite la concentration du pouvoir (et l’infantilisation des masses) et dont certains peuvent opportunément se saisir pour asseoir leur pouvoir sans opposition (cf., à ce sujet, la notion de « dispositif » dans Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées, L’Europe sous l’emprise de l’idéologie).

« Le despotisme du Totalitaria moderne, écrit Meerloo, est très différent des tyrannies personnelles, luxuriantes et exotiques des temps anciens. Il s’agit d’une force ascétique, froide, mécanique, visant à ce que Hannah Arendt appelle la ‘transformation de la nature humaine elle-même’. Dans ce pays dystopique, l’homme n’a plus d’ego individuel, plus de personnalité, plus de soi. Un système d’aplatissement est à l’œuvre, et tout ce qui dépasse du niveau commun est piétiné, écrasé. »

Ce totalitarisme de système dont Meerloo avertit préfigurait le pouvoir technocratique, exercé par l’intermédiaire d’institutions impersonnelles et de systèmes automatisés et s’appuyant sur des normes sociales rigides, des algorithmes et des langages appauvris. Selon la formule consacrée, « toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence. »

The Rape of the Mind : The Psychology of Thought Control, Menticide, and Brainwashing, Joost A. M. Meerloo, 241 pages.

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