Victor Davis Hanson est professeur émérite de lettres classiques à l’université d’État de Californie à Fresno et senior fellow en lettres classiques et histoire militaire à la Hoover Institution (un département de l’Université Stanford). Il a commenté les guerres et la politique contemporaine pour le New York Times, le Wall Street Journal, la National Review, le Washington Times et fait volontiers part de ses commentaires sur les réseaux sociaux.
Son dernier livre en date, The End of Everything: How Wars Descend into Annihilation, analyse les guerres qui aboutirent à la défaite et à l’anéantissement de Thèbes par Alexandre le Grand (au IVe siècle avant J.C.), Carthage par Rome (au IIe s. avant J.C.), Constantinople par les Ottomans (au XVe s.) et la capitale de l’Empire aztèque, Tenochtitlan, sur une île située sur le lac Texcoco, par les conquérants espagnols de Hernán Cortés (au XVIe s.). La guerre menace-t-elle la civilisation occidentale d’un anéantissement ?
Hanson avance que le monde contemporain, y compris l’Amérique, n’est pas à l’abri d’une répétition de ces tragédies du passé. En cause, l’ignorance des gouvernants, de nos jours comme hier, quant aux intentions, à l’hostilité, à la cruauté et aux capacités de méchanceté de leurs ennemis, ainsi que le repli des clercs dans le confort et la nonchalance, fruits de la richesse et des loisirs, toutes choses prévisibles compte tenu de l’immuabilité de la nature humaine, et ce malgré les fantasmes à propos de ce que le monde serait devenu un village global, postmoderne et technologiquement avancé.
« Cela ne peut pas arriver ici »
Il n’y a malheureusement aucune corrélation entre le progrès scientifique et une avancée en matière de sagesse ou de moralité, dit-il, et encore moins une amélioration radicale de la nature humaine. La Seconde Guerre mondiale de 1939 à 1945, avec ses soixante-dix millions de morts, à peine deux décennies après les vingt millions de victimes de la Première de 1914 à 1918 censée « mettre fin à toutes les guerres », ont montré que le progrès matériel et technologique s’accompagne au contraire souvent d’un recul moral. Le poète grec Hésiode en avait averti au VIIe siècle avant J.-C.
Ces dernières années, la Russie n’a-t-elle pas menacé d’user des armes nucléaires contre l’Ukraine, la Chine contre Taïwan, l’Iran contre Israël, le Pakistan contre l’Inde et la Corée du Nord contre la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis ? La Turquie n’a-t-elle pas effrontément évoqué le lancement de missiles sur Athènes et Israël, ou la résolution du « problème » arménien à la façon de ses ancêtres ? Et, fait remarquer Hanson, il ne s’agit ici que de menaces de bombes et de missiles, alors que nous entrons dans l’ère des agents pathogènes à gain de fonction et des munitions guidées par l’intelligence artificielle…
Les quatre cas d’anéantissements dont question dans The End of Everything sont, insiste-t-il, tous d’origine humaine. Ils n’ont rien à voir avec les effondrements soudains et les disparitions mystérieuses de civilisations « perdues » comme celles des Mycéniens (vers 1200 avant notre ère) ou des Mayas (vers l’an 900). En outre, dans les quatre cas d’études, aussi géographiquement, chronologiquement, ethniquement et religieusement différents soient-ils, le cours des événements était prévisible et donne un avertissement opportun.
Bien qu’il puisse paraître plus uniformisé et interconnecté, le monde n’en est pas moins dangereux. Or, si les guerres du siècle dernier ont probablement fait plus de victimes que tous celles qui les ont précédées au cours des deux millénaires et demi depuis la naissance de la civilisation occidentale, les armes désormais à la disposition des belligérants n’ont rien à voir sur le plan de la puissance de dévastation avec celles des siècles antérieurs. Par contre, quant aux cibles, il y a fort à parier que les mentalités et les illusions qui ont scellé le sort des Thébains, des Carthaginois, des Byzantins et des Aztèques restent d’actualité, en particulier cette conviction des futures victimes : « Cela ne peut pas arriver ici. »
« Les faibles subissent ce qu’ils doivent »
Thèbes, pour prendre le premier exemple analysé par Hanson, a cessé matériellement, ethniquement, linguistiquement et politiquement d’exister. Les comptes rendus d’époque en convenaient : la destruction en fut totale, absolue et sans merci. En fait, dit-il, l’issue d’un conflit peut généralement être calculée en fonction des rapports de force, numérique et militaire, de la naïveté passée et présente des gens au pouvoir dans la cible, de l’état d’esprit des combattants et du génie militaire des généraux, des trahisons. Le cas de Carthage est de ce point de vue parlant : Rome a manoeuvré tant et plus pour l’affaiblir avant de trouver un motif pour l’attaquer et l’anéantir dans la Troisième guerre punique. Comme dans les trois autres cas analysés, les négociations et la diplomatie ayant précédé l’attaque n’avaient été qu’un subterfuge.
Hanson relève une autre similitude, plus anecdotique, parmi les assaillants : leurs chefs se montrent plus férus de sagesse qu’ils n’en font preuve sur le terrain, laissant leurs troupes massacrer et piller à qui mieux mieux. Alexandre, disciple d’Aristote, se voyait comme la réincarnation d’Achille, le héros d’Homère, et un émissaire de l’hellénisme ; Scipion Emilien, qui anéantit Carthage, créa par la suite un cercle philhellénique ; Mehmet II, qui réduisit Constantinople, se considérait comme un homme de lettres ; Cortés se disait inspiré par la pensée classique et était accompagné de nombreux écrivains, parmi lesquels le chroniqueur Bernal Díaz del Castillo.
Méfiez-vous, ironise Hanson, de ces tueurs de masse qui se prétendent dotés d’un brillant intellect. Après que, la conquête acquise, leurs troupes se furent déchaînées – comment en irait-il autrement ? -, leurs commandants formulent des regrets face à la cruauté, mais, dit-il, doutons de leur sincérité. Dans le monde actuel globalisé et instable, gardons à l’esprit toutes ces considérations à propos de ce qui fait qu’en certaines circonstances l’impensable devient réalité. Entre un assaillant plus fort et une victime plus faible, l’ancienne loi mélienne, selon laquelle « les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent », reste de rigueur. Il n’y a pas, conclut Hanson, de réciprocité, de proportionnalité, de symétrie ou de « lois de la guerre » qui tiennent.
The End of Everything: How Wars Descend into Annihilation, Victor Davis Hanson, 352 p, Basic Books.
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