D’entrée, dans le chant I de La Divine Comédie, l’un des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, Dante (1265-1321) se présente comme un homme qui ne sait plus où il en est : « Quand j’étais au milieu du cours de notre vie, je me vis entouré d’une sombre forêt, après avoir perdu le chemin le plus droit. » Homme politique de premier plan de la république de Florence, un procès le condamne au bûcher en 1302. Ses biens sont confisqués. A 36 ans, il s’exile et ne reverra jamais sa cité. (Le décret de bannissement de Dante de la ville de Florence ne sera révoqué qu’en 2008.)

Voyage à l’intérieur de soi avec Dante comme guide

Emmanuel Godo, docteur ès lettres, agrégé de lettres modernes et professeur de littérature, auteur d’une trentaine d’essais et de récits et poète lui aussi, invite dans Ton âme est un chemin à un voyage à l’intérieur de soi avec Dante comme guide spirituel, car « il arrive un moment où l’on ne sait plus vers qui se tourner, les vivants ou les morts ». Godo n’est pas seul à se lancer dans l’aventure, il se fait accompagner par une personne non autrement identifiée, si ce n’est qu’elle est jeune, « au seuil de sa vie », avec « devant elle tout ce temps où naviguer et, autour, ce monde où j’ai peur qu’elle se perde. »

« Dans ta vie, lui dit-il, tu as déjà rencontré et tu rencontreras encore, comme moi, des professeurs de désenchantement, des destructeurs de l’espérance, qui te diront avec une sorte de gourmandise triste dans la bouche que Dieu est mort, que la vie n’a pas de sens, que le ciel est désespérément vide. » Dante aussi a de la compagnie dans son périple. Chemin faisant, il rencontre Virgile, le poète de l’Énéide, des Bucoliques et des Géorgiques, qui lui rappelle que, fût-on condamné à l’errance, « on n’est jamais seul, les invisibles nous encouragent à vivre. »

Ayant traversé l’Achéron sur la barque de Charon, Dante et Virgile entrent dans le premier cercle de l’Enfer, les Limbes, où se trouvent nombre de génies de l’Antiquité dont le seul péché est en quelque sorte de n’avoir pas connu le Christ ni entendu sa parole. Puis, ils arrivent au pied d’un beau château, entouré de murailles, allégorie de la philosophie et des sept arts libéraux, piliers du savoir médiéval, la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la musique, l’astronomie et la géométrie, où résident les plus grands esprits du monde non-chrétien. Il y a là une indication que la raison seule ne suffit pas au bonheur. Encore faut-il retrouver le sens sacré de l’existence. « Dante dit, interprète Godo : ta vie est une aventure unique, ne perds pas de temps, écoute ce que ton âme veut. »

L’Enfer n’est pas ailleurs : il commence ici

L’Enfer n’est pas ailleurs. Il commence ici. Il est le monde dans lequel nous vivons. Les personnages que Dante nomme et décrit dans La Divine Comédie sont pareils à ceux qui nous entourent. Il ne se contente toutefois pas de gloser sur la vie de ses contemporains. Il reste un homme politique et il se montre réformateur avant l’heure, usant, dans le Purgatoire, de la métaphore des deux soleils pour intimer aux papes, les pasteurs d’hommes, de ne pas « putasser avec les rois » et de revenir à l’esprit des Evangiles, au « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » de l’Evangile selon Matthieu (XXII, 21).

Les hypocrites foisonnent, qui cachent leur vice derrière un masque de vertu, selon la maxime de La Rochefoucauld, cité par Godo : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » Dante parle en parfaite connaissance de cause : les prieurs qui l’ont condamné à mort, et finalement à l’exil et à l’errance, l’ont fait sur de fausses accusations. Aucun des sept péchés capitaux n’échappe à son analyse : l’orgueil (10-12), l’envie – cette « blessure pour l’esprit qui se ronge, torturé par le bonheur d’autrui » selon Saint Grégoire – (13-15), la colère (15-17), l’acédie (17-19), l’avarice (19-22), la gourmandise (22-24) et la luxure (25-27).

Dante renvoie chacun à ses responsabilités. Face à la détresse et au chaos, il appartient à chacun de garder le droit chemin. Beaucoup aujourd’hui vivent du catastrophisme « comme des rentiers de la défaite ». « Dante, lui, observe Godo, prend l’encre de la nuit et l’utilise pour nous en libérer. » Il fait le pari inimaginable – en plein Moyen Âge ! – que le monde se transformera si chacun se gouverne. « Ni la parole ne ralentissait la marche, ni la marche la parole : mais tout en causant nous allions vite, comme un navire poussé par un bon vent. » (Chant XXIV) Parole et marche vont de pair. « C’est le présupposé de tout le poème, relève Godo dans sa lecture érudite et originale de l’oeuvre de Dante, les voyageurs cheminent par la double force du pas et du verbe. » Il rappelle au passage que le plus grand don que l’homme ait reçu à sa création est la liberté de vouloir.

Comme le dit Barrès, cité par Godo qui en est un spécialiste : « Dante n’est pas un artiste dans sa bibliothèque. Aux racines de son poème, il y a une magnifique activité. C’est un croyant, un homme politique, un penseur, un amoureux. C’est un poète au plus ardent de la mêlée humaine. »

Ton âme est un chemin, La vie spirituelle avec Dante, Emmanuel Godo, 320 pages, Editions Artège.

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