L’Iliade et l’Odyssée, « ce journal du monde écrit une fois pour toutes », il y a près de trois mille ans (au VIIIe siècle avant notre ère), quatre siècles après les faits qu’il relate, par Homère, témoignent de l’homme « fidèle à lui-même, animal grandiose et désespérant, ruisselant de lumière et farci de médiocrité », écrit Sylvain Tesson dans Un été avec Homère.
L’Iliade raconte les dernières semaines de la guerre de Troie, qui dura dix ans et opposa les Achéens venus de toute la Grèce aux Troyens et à leurs alliés d’Asie mineure, dans la ville d’Ilion, autre nom (d’où est dérivé celui d’Iliade) de la ville de Troie, située sur la côte de l’actuelle Turquie. L’Odyssée est le récit du retour d’Ulysse, l’un des héros de la guerre de Troie, qui mettra dix nouvelles années à rentrer dans sa patrie, l’île d’Ithaque, au terme d’un périple rendu périlleux par les caprices des dieux.
Ces deux poèmes antiques sont considérés comme fondateurs de la civilisation occidentale, des catégories essentielles de notre pensée européenne que sont la connaissance et l’action. Sylvain Tesson, l’évadé de l’Axe du Loup, l’ermite des rives du lac Baïkal dans Les Forêts de Sibérie, le hussard de retour de la Berezina, le ressuscité de Sur les chemins noirs, n’hésite pas à écrire dans Un été avec Homère que l’Europe est « la fille d’Athènes autant que de Jérusalem ». L’Iliade et l’Odyssée ne sont-elles pas antérieures aux textes sacrés ?
Il croit aussi à l’invariabilité de l’homme. Si certains s’imaginent qu’il est perfectible, que le progrès le bonifie, que la science l’améliore, ils se trompent ! « Le poème homérique est immarcescible, car l’homme, s’il a changé d’habit, est toujours le même personnage, mêmement misérable ou grandiose, mêmement médiocre ou sublime ». Hector, Achille et Ulysse nous en disent plus sur l’homme et sur l’humanité que les experts autoproclamés, « ces techniciens de l’incompréhensible qui masquent leur ignorance dans le brouillard de la complexité ».
Pourtant, admet l’auteur d’Un été avec Homère, les héros ne sont plus ce qu’ils étaient. « Deux mille ans de christianisme, récemment converti en philosophie égalitariste, ont porté au pinacle le faible à la place du guerrier. » Il ne s’agit plus de devenir le meilleur de tous ; tout le monde, il est le meilleur, tout de suite. Dans les épopées homériques, l’homme lutte et ne se livre pas à « cette activité si cartésienne, si française, de récriminer contre son sort, de chercher des coupables, de se défausser de ses responsabilités ».
Quelle que soit l’emprise alléguée des dieux sur le cours des événements, l’axiologie homérique est plantée dans la lumière et la vérité du réel, dont il faut se contenter. « Tout est beau dans ce qui se dévoile » (Iliade XXII, 73). Il nous faut jouir de notre part de vie, sans rien escompter d’un au-delà. Demain est une imposture. Les dieux de la mythologie grecque appartiennent à ces histoires que se racontent les hommes pour se représenter le monde dans sa complexité et comprendre les forces du destin et de l’inconscient qui interagissent avec leur propre vouloir.
« Mieux vaut, écrit Sylvain Tesson, reconnaître la diffraction du monde au lieu de chercher à unifier et, pis ! à tout égalitariser ». Si Ulysse surpasse les autres, c’est parce que, doté de son mental et de son expérience, le héros se montre le plus intelligent et le plus habile. « Le monde ne se réduit pas à une dalle de ciment où pas une tête ne dépasserait, où tout se vaudrait, rapporté à ce hideux principe de l’égalité. »
L’excellence et l’esthétique auraient-elles cessé d’avoir cours ? « Faut-il avoir le coeur sec et l’âme fatiguée, écrit Sylvain Tesson dans Un été avec Homère, pour espérer des paradis hypothétiques – sur terre ou dans l’au-delà, ajouterions-nous –, alors que le champ d’émerveillement se déploie là, somptueusement vivant, devant nous. »
Un été avec Homère, Sylvain Tesson, 256 pages, 14,50 €, Editions des Equateurs/France Inter.
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