Depuis le référendum sur le « Brexit », de nombreux commentateurs et politiques reprochent à l’Union européenne d’être libérale, trop libérale, « néo-libérale » et autres variations terminologiques sur le même thème. Deux arguments : le droit européen serait libéral, et l’UE impose l’austérité des finances publiques. À l’inverse, les partisans du Brexit — Farage, Johnson, Gove, Hannan — reprochent à l’UE d’être une bureaucratie anti-économique. Qu’en est-il ?
Dans un relevé datant de 2014, le droit européen — le fameux « acquis communautaire » — comptabilisait 154.000 pages (source : EUR-Lex, via Business for Britain). En 2015 sont encore venus s’ajouter 1487 règlements, 53 directives, 1156 décisions et 2267 jugements de la Cour de justice UE (source : EUR-Lex). Le droit européen est aujourd’hui comme une gigantesque cathédrale normative, d’inspiration française en matière sociale, allemande dans le domaine de l’énergie. Le problème ne réside donc pas dans la bureaucratie européenne en tant que telle — à peine 80.000 fonctionnaires européens, à mettre en regard des 5 millions de fonctionnaires français… — mais dans l’inflation normative européenne, et son orientation foncièrement anti-économique.
Prenons l’exemple de l’unification du marché de l’énergie. Quand un marché s’unifie et s’agrandit, en principe les coûts baissent, et les consommateurs sont gagnants. Rien de tel en Europe, où le coût de l’énergie ne cesse de se renchérir dans la totalité des 28 — bientôt 27 — Etats membres, alors qu’il diminue sur les quatre autres continents. Pourquoi ? Parce que l’UE s’est résolument engagée dans la renonciation aux énergies fossiles — qui émettent du CO2 — mais également dans la renonciation au nucléaire — qui n’émet pas de CO2, mais qui déplaît idéologiquement à l’Allemagne et aux lobbys écologistes. Cette politique du tout au renouvelable, nourrie de subventions publiques massives, explique le coût exorbitant de l’énergie européenne. Le résultat de cette politique résolument anti-libérale est que les principaux opérateurs économiques dans le domaine de l’énergie se trouvent aujourd’hui, en dépit de subventions publiques sans précédent, dans une situation financière précaire. Ce qui augure d’une probable renationalisation des grandes entreprises européennes de l’énergie : autant pour le « marché unique » de l’énergie !
Idem dans le domaine de la législation sociale, qui voit les institutions européennes empiler des normes qui ne sont pas sans évoquer le Code du travail français. Des normes dont s’empare aussitôt la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour leur donner une interprétation souvent maximaliste, toujours anti-économique. On a beaucoup plaisanté les Anglais de leur obsession à propos de la standardisation européenne des concombres et autres bananes. Mais les Anglais ne sont pas stupides. Les arrêts de la CJUE qui ont régulièrement suscité l’indignation de la presse britannique sont ceux qui obligent les entreprises à intégrer les heures supplémentaires, les commissions et les heures non prestées (en arrêt maladie) dans le calcul de la rémunération payée pour les vacances. Rien que de très normal pour un Français, mais les Anglais y ont vu à la fois un empiètement sur leur souveraineté, et des mesures anti-économiques, obérant la compétitivité des entreprises européennes.
Le coût global de cet « acquis communautaire » pour l’économie européenne, d’après Gunther Verheugen qui était alors commissaire européen, se montait déjà en 2006 à 600 milliards d’euros par an. Soit bien davantage que le gain économique du marché intérieur. L’UE est moins un marché qu’une chape de plomb normative, et une union douanière (qui est une entrave au libre-échange des Etats membres qui le souhaiteraient avec l’extérieur de l’UE). Prétendre que cette UE serait « libérale » est absurde.
L’autre argument en faveur de la thèse UE = libéralisme réside dans les critères du Pacte de stabilité, notamment l’interdiction de principe, pour un Etat, d’enregistrer un déficit public supérieur à 3% de son produit intérieur brut (PIB). Voilà bien, dit-on, la marque de l’austérité « néo-libérale » européenne !
Commençons par relever que cet impératif n’est pas consubstantiel à l’Union européenne. Il est le corollaire de la monnaie unique (euro), dont la viabilité exige que les économies impliquées ne divergent pas de façon excessive. L’euro, rappelons-le, est d’abord et avant tout un projet politique, assumé et revendiqué comme tel, qui s’inscrit dans la volonté d’approfondir l’intégration réciproque des Etats membres.
Notons également que l’austérité consiste, pour un Etat, à réduire ses dépenses, ou à générer un excédent budgétaire (ce sont les deux définitions possibles de l’expression « austérité budgétaire »). Le Pacte de stabilité demande seulement aux Etats de ne pas aggraver trop vite leur dette (ie, les déficits cumulés) : 3% de déficit sur le PIB des Etats européens correspond à des déficits qui sont considérables en montants absolus . Relevons encore qu’un Etat tel que la France, pourtant à l’origine des critères du pacte, ne les a jamais respectés, pas une seule fois depuis leur adoption, alignant chaque année, sous divers prétextes, des déficits publics supérieurs à 3% de son PIB.
Souligons enfin que les Etats membres de l’UE n’ont jamais été aussi endettés — méconnaissant ainsi impunément et avec constance un autre critère du pacte de stabilité : 60% de dette publique — et que la « relance par le déficit » est une option qui, pacte de stabilité ou non, n’est pas disponible. Qu’un Etat comme la France sorte demain de l’euro, il aggravera mécaniquement sa dette (car l’Etat français sera contraint de rembourser avec un franc dévalué des emprunts contractés en euros), et ne pourrait se relancer par la dette qu’à très court terme, avant que ses bailleurs de fonds n’augmentent le prix de leurs allonges financières dans des proportions rapidement intenables. Car, les bailleurs de fonds ont généralement l’esprit assez étriqué pour réclamer de forts taux d’intérêts aux Etats en difficulté — ce que deviendrait la France si elle sortait de la monnaie unique, n’en déplaise aux fantasmes des conseillers économiques post-keynésiens que partagent, en France, l’extrême droite et l’extrême gauche.
Quel que soit le point de vue auquel on se place, l’équation Union européenne = libéralisme est donc une aimable plaisanterie. L’UE est un continent normatif à la dérive qui fait obstacle à la prospérité des Etats membres. Si cette masse normative n’est pas réduite de façon draconienne, dans un sens favorable à l’activité économique, d’autres peuples européens suivront l’exemple britannique.
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