Qu’en l’absence d’efficacité des mesures actuelles de relance de l’économie, l’idée de l’hélicoptère monétaire puisse être évoquée et être jugée intéressante par le président de la BCE (Banque centrale européenne), son économiste en chef et d’autres adeptes de l’économie fantasmatique est symptomatique de l’époque déboussolée que nous traversons.
L’argent est un facteur d’intermédiation à l’indicatif présent et au futur. Il compose l’espace de liberté individuelle que procure, en principe, son propre travail (ou celui d’autres travailleurs quand il s’agit d’allocataires) et permet à chacun selon son gré de participer à l’échange de biens de consommation et d’en épargner une partie pour la réserver à des dépenses plus conséquentes. L’intérêt sur l’épargne et les autres revenus qui en découlent compensent l’inflation et la perte résultante de pouvoir d’achat dû au caractère différé de ce dernier et le risque de confier le fruit de son travail à des tiers, fût-ce aux banques dont le passé récent a démontré qu’elles ne sont pas à l’abri d’un accident, voire aux Etats et aux entreprises via les obligations et les actions.
Il ne devrait donc échapper à personne, alchimistes à la solde d’institutions financières ou simples citoyens, qu’allouer 1 000 € (par an ? Par mois ?) à chaque citoyen en créditant son compte en banque de ladite somme sans la moindre contrepartie constituerait une modification radicale du contrat social dans le sens de la collectivisation et de la déresponsabilisation qu’a malheureusement emprunté la société occidentale européenne sous la houlette d’un pouvoir politique qui semble avoir pour seules ambitions et compétences sa survie et ses prébendes.
Le mantra de notre époque est qu’il faut booster l’inflation. Naguère à proscrire (ne parlait-on pas de « spirale » à son sujet ?) car aucun Etat au monde n’a jamais réglé ses problèmes économiques grâce à l’inflation, elle constituerait aujourd’hui la panacée pour relancer l’économie à défaut d’avoir réussi à le faire par les autres moyens de répression financière mis en oeuvre, notamment le maintien des taux d’intérêts à des niveaux artificiellement bas générant des rendements négatifs pour l’épargne et donc une captation de cette dernière.
Imaginez ce marché de dupes à l’échelle de la petite Belgique : PIB de 400 milliards d’euros, dette publique d’environ 110%, soit 440 milliards € (les attentats de Bruxelles n’amélioreront pas les paramètres). En distribuant 1 000 € à chacun (soyons généreux, il s’agit de l’argent des autres) de ses 11,2 millions d’habitants, l’on ne créerait jamais que 11,2 milliards de liquidités sans contrepartie, une obole. Si l’on mensualisait le cadeau, il s’élèverait à 134,4 milliards d’euros au bout d’une année et dépasserait les 400 milliards au bout de trois ans, chiffre fatidique puisqu’il correspond tout à la fois à celui de la dette publique de la Belgique et de l’épargne des Belges. Ce n’est pas innocent : en trois ans, l’hélicoptère monétaire aurait pulvérisé la dette publique de l’Etat belge de moitié en termes réels et bien sûr d’autant l’épargne privée tant convoitée (ainsi, accessoirement, c’est vrai, que les dettes des bons citoyens qui dépensent sans compter). Certes, l’Etat ponctionnant plus de la moitié des revenus via l’impôt et les autres prélèvements, les 400 milliards de dettes pourraient fondre plus rapidement mais, n’en doutez pas un seul instant, la marge de manoeuvre sera vite récupérée et consacrée à d’autres usages plus ludiques. Et pourquoi donc, en toute logique marxiste, ne continuerait-on pas à s’endetter dès lors qu’il serait devenu si facile d’effacer l’ardoise ?
Bref, en quelques années, vos 1 000 € ne vaudront plus que 500 €, voire 100 €, 10 €, 1 €… Les épargnants se précipiteraient-ils sur l’immobilier (comme le conseille notamment Marc Fiorentino dans Immobiliez-vous!), il sera facile à l’Etat de se le réapproprier (via l’impôt foncier, les taxes en tous genres et les droits de succession). Les épargnants accorderaient-ils leurs faveurs aux actions, leur valeur de refuge n’est pas garantie (voir notamment ce qu’en dit Benjamin Graham dans The Intelligent Investor) car les perspectives des entreprises dépendent de l’économie réelle et il est douteux que celle-ci ne soit servie, tant au niveau de la production qu’à celui de l’investissement, par l’inflation galopante qui sévirait et plongerait les responsables d’entreprises dans l’incertitude la plus complète et la confusion la plus totale.
Cette hérésie en laquelle consisterait une expérimentation collective de dilution des actifs au nom de la ritournelle du bien-être commun priverait les acteurs économiques individuels de leur libre choix et assurerait la mainmise d’une classe dirigeante unidimensionnelle sur les tous leviers de pouvoir, politique et économique. Que la société civile entière en bénéficie paraît plus aléatoire. Ce ne sont plus Fiorentino, Benjamin Graham ni même Marx qu’il conviendrait de relire, mais La Ferme des animaux de George Orwell.
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