Pour Bruno Colmant, Docteur en économie appliquée, professeur d’université à Bruxelles, Louvain, Gand en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg, membre de l’Académie royale de Belgique, la réponse à la question qui sert de titre à son dernier livre, L’euro : une utopie trahie ?, se trouve tout entière dans la question. Il serait prêt à faire sienne la boutade de ce conservateur et ancien secrétaire d’Etat britannique, William Hague, selon lequel l’euro serait « un bâtiment en feu sans sortie de secours ». Colmant considère la monnaie comme un phénomène circonstanciel, éphémère, dont rien ne permet de croire que l’agencement est irréversible. Il est persuadé que, « sans aggiornamento idéologique », l’euro ne subsistera pas dans sa forme actuelle.
Faut-il s’en étonner ? Dès 1998, 150 économistes allemands avaient prédit dans une lettre ouverte que ça ne marcherait pas. Ils recommandaient que les Etats membres mettent d’abord leurs comptes en ordre et rendent leurs économies plus flexibles. Colmant n’évacue aucun de ces deux arguments.
Lucide, l’auteur reconnaît que la fragilité financière de certains Etats européens résulte d’un mal plus profond, à savoir le besoin de financement des « intenables » systèmes sociaux de répartition et des endettements relatifs à des dépenses de fonctionnement plutôt qu’à des investissements porteurs de croissance, et ce aux dépens des générations futures. Dès lors que la monnaie n’a plus de référent tel que l’or ou l’argent, monnaie et endettement public sont « l’avers et le revers de la même pièce ».
Colmant reconnaît aussi que la monnaie commune suppose une mobilité des facteurs de production, capital et travail. C’est en cela que l’euro est libéral et favorable à l’économie de marché et qu’il faut s’étonner de ces soi-disant libéraux qui dans un réflexe nationaliste défendent aujourd’hui des thèses que ne renieraient pas les Mélenchon, Le Pen et autres populistes de tous bords.
Si la mobilité du capital pût un moment être réalisée sans grande difficulté, mises à part les détestables conséquences financières de ce que d’aucuns confondirent la disparition du risque monétaire et celle du risque étatique, il était clair que la mobilité du travail se heurterait à des freins socio-culturels et linguistiques. Serait-elle pour autant impossible à réaliser dans le contexte de l’Union européenne ? A voir le nombre de Français qui se sont installés en Grande-Bretagne, d’Espagnols et de Portugais qui se sont expatriés, de Polonais qui ont saisi l’aubaine de l’ouverture des frontières pour tenter leur chance sous d’autres horizons, qu’il soit permis d’en douter.
A contrario, à l’intérieur d’un même pays, la situation socio-économique peut ne pas être homogène d’une région à l’autre : que l’on songe ici à la Belgique, à l’Italie ou à l’Espagne. Cela les empêcha-t-il d’avoir une monnaie nationale commune ? Milton Friedman, cité par Colmant, n’avait certes pas tout faux quand il évoqua les conditions d’une unification économique sans unification politique, mais avait-il pour autant envisagé toutes les hypothèses ? L’euro constituait certes un défi. Est-ce la faute à l’euro si le personnel politique des pays européens économiquement les plus à la traîne n’a pas eu le courage de le relever à temps ?
Fâcheusement, les réflexes nationalistes ont désormais repris le dessus et pas seulement chez les Mélenchon, Le Pen et autres populistes, et s’est opéré un rapatriement des épargnes nationales, ledit rapatriement s’accompagnant, et sans doute n’est-ce pas anodin, d’un rétablissement des contrôles de personnes aux frontières nationales au prétexte que la présence de militaires aux postes-frontières, par exemple sur l’autoroute de Mons à Valenciennes, découragerait les Molenbeekois de se rendre à Paris. C’est aussi aberrant que de prétendre que les radars « volants » le long des autoroutes françaises flashant à des endroits où les limitations de vitesse sont de préférence invisibles ou inexistantes sont destinés à « assurer votre sécurité ».
Les relents nationalistes et le phénomène de repli sur soi qui se manifestent dans les Etats européens comportent le danger que la sortie de crise ne se fasse sur le dos des bons citoyens et des épargnants en particulier, lesquels seront immanquablement soumis, selon Bruno Colmant, à une forme ou l’autre de répression financière.
Au mieux, après avoir refinancé leurs dettes sur base d’intérêts négatifs et à coup d’interventions de la Banque centrale, les Etats attiseront une inflation qui leur permettra de réduire le coût économique réel desdites dettes. Au pire, ils confisqueront tout simplement l’épargne, d’une manière ou d’une autre (voir Chypre…). Bref, ceux qui croyaient que le fait de différer la consommation de leurs « marshmallows » (guimauves) leur vaudrait la gratification d’en avoir plus à terme risquent de regretter de ne pas les avoir avalées tout de suite.
Si, dans l’immédiat, ce ne sera pas ce que Marx avait prévu, ce sera bien ce dont Hayek avait prévenu : la répression financière entraînera inévitablement une étatisation insidieuse de toute l’économie. Pouvons-nous encore affirmer que nous vivons dans une économie de marché alors que le poids des Etats y est si important? s’interroge Colmant. Sur ce point, du moins, il rejoint la réflexion de Thierry Afschrift dans La tyrannie de la redistribution. Il peut dès lors paraître contradictoire que Colmant préconise comme remède à la panne de croissance économique, la réalisation de « grands travaux ».
En exergue de cet excellent inventaire de la situation économique de l’Europe qu’est L’euro : une utopie trahie ?, préfacé par Herman Van Rompuy, l’ancien président du Conseil européen, Bruno Colmant, cite Léo Ferré : « Avec le temps, … on se sent floué par les années perdues ». Si la monnaie est fongible, le temps ne l’est malheureusement pas.
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