« Si vous voulez changer le monde, créez votre entreprise », suggèrait Nassim Nicholas Taleb dans le dernier opus en date de son « Incerto », Jouer sa peau : Asymétries cachées dans la vie quotidienne.
« Licorne » : start-up valorisée par ses investisseurs à plus d’un milliard de dollars avant son arrivée éventuelle en Bourse. 266 en étaient recensées de par le monde en août 2018 pour une valorisation totale de 861 milliards de dollars : 131 en Chine, 76 aux Etats-Unis, 14 en Europe (7 au Royaume-Uni et… une seule en France). Au niveau des super-licornes (valorisation de plus de 10 milliards de dollars avant ou après l’entrée en Bourse) et des titans (plus de 50 milliards de dollars), Chine et Etats-Unis se partagent le palmarès.
Si aux GAFA d’Amérique (Google, Apple, Facebook et Amazon) correspondent les BATX de Chine (Baidu, le moteur de recherche, Alibaba, le commerçant en ligne, Tencent, le spécialiste des réseaux sociaux, Xiaomi, le spécialiste de la téléphonie mobile et de l’électronique grand public), c’est plutôt du côté des Etats-Unis qu’il faut chercher l’inspiration entrepreneuriale pour encourager l’émergence de méga-entreprises car les entreprises chinoises croissent dans un contexte commercial et politique très particulier (limitation artificielle de la concurrence et volonté de surveillance systématique des individus), à moins, bien sûr, que le dirigisme ne finisse par prévaloir, un jour, en Europe et n’incite cette dernière à imiter le modèle chinois…
Alain Dupas, Jean-Christophe Messina, Cyril de Sousa Cardoso s’en tiennent à une vision optimiste de l’Histoire et vous invitent à la découverte initiatique des univers de trois personnages hors-norme, Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs. C’est, en particulier, le premier des trois qui les fascine. Tout à la fois physicien et informaticien, il a décidé de réinvestir l’argent qu’il a retiré de la vente de Paypal dans la transformation de deux domaines industriels traditionnels, le transport spatial avec SpaceX et l’automobile avec Tesla. (Jeff Bezos fait de même en réinvestissant sa fortune personnelle provenant d’Amazon dans son propre projet spatial, Blue Origin.)
Les automobiles Tesla font partie du paysage quotidien. L’on est généralement moins au courant des ambitions spatiales d’Elon Musk (photo) : relier les principales villes du monde en moins d’une heure grâce à des déplacements spatiaux de la terre vers la terre et bâtir des colonies humaines sur la Lune et sur Mars grâce à des vaisseaux spatiaux réutilisables. Et, l’on est encore moins conscient de ce que cette conquête du système solaire n’est pas qu’une simple idée lancée en l’air (par un homme que l’on a vu fumer un joint lors d’un entretien en direct suivi par 90.000 personnes sur YouTube) !
L’idée de conquête de l’espace a été suivie de premières étapes concrètes chez SpaceX et elle sert de motivation supérieure aux équipes et individus qui y collaborent. Les auteurs d’Innover comme Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs parlent, à cet égard, de récompense intrinsèque (le plaisir de participer au projet) et de facteur d’intersubjectivité (la faculté de fonder la coopération humaine sur un rêve et des référents communs) comme source de création et d’innovation.
« Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerais cinquante-cinq minutes à le définir et seulement cinq minutes à en trouver la solution » est une citation attribuée à Einstein qui insiste sur l’importance de se poser les bonnes questions. Dans un entretien datant de 2012, Elon Musk confia que, pour lui, cela consiste à raisonner à partir des principes premiers plutôt que par analogie, c’est à dire à se libérer des idées reçues, à regarder les choses sous leur angle physique, à les réduire à leur vérité fondamentale, et à être prêt à revoir ses conclusions au vu de faits contraires. (A la réflexion, ne conviendrait-il pas d’enseigner cette approche au grand public pour le prémunir contre les vérités bien à eux que lui assènent les médias ?)
La donnée est au coeur de l’organisation, de l’exploitation, de la chaîne de valeur du système Musk. Ce dernier, comme le fut Steve Jobs chez Apple, est toutefois un adepte de la simplification comme sophistication ultime. Face à la complexification du monde, défi majeur de notre époque, tant en ce qui concerne le développement technique que les organisations économiques et sociales, il nous faut suivre une voie différente, celle de la simplicité et l’esthétique, font remarquer les auteurs.
La simplification, n’est-ce pas là une nécessité dont devrait s’imprégner la classe dirigeante politique européenne, trop souvent encline à ignorer qu’à la base de toute entreprise il y a un entrepreneur et à taxer toujours plus la réussite entrepreneuriale sans lui laisser l’occasion de déployer toute l’étendue de son génie pourtant si précieux à l’ensemble de l’économie et de la société sur le long terme ?
Recherche de la profitabilité aux fins de réinvestissement (un trait commun aux trois protagonistes), recrutement, organisation ruche, « task forces », design itératif, optimisme opérationnel, culture du risque, aucun des aspects de la réussite sidérale de ces entreprises qui ont changé le monde (et de là où le bât blesse en Europe) n’est négligé par les auteurs de ce livre dont la lecture vous plonge, avec un plaisir intense, dans le monde des possibles, celui de l’innovation, l’univers de ces titans que sont Elon Musk et Jeff Bezos et qu’était le regretté Steve Jobs.
Innover comme Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs, Alain Dupas, Jean-Christophe Messina, Cyril de Sousa Cardoso, Odile Jacob, 176 pages.
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