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Négocier avec le diable : la médiation dans les conflits armés

Négocier avec le diable : la médiation dans les conflits armés Posted on 1 octobre 20222 Comments

En exergue de son essai sur la négociation en temps de guerre, dont la parution le 21 septembre ne pourrait être plus à propos, Pierre Hazan cite un extrait du discours de Stockholm du 10 décembre 1957 d’Albert Camus : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

Pierre Hazan, qui a enseigné à SciencesPo à Paris et à l’Institut des Hautes études internationales et du Développement à Genève, est conseiller senior auprès du Centre pour le dialogue humanitaire, l’une des principales organisations de médiation des conflits armés. Il a oeuvré dans de nombreuses zones de conflit dans les Balkans, au Proche-Orient et en Afrique et livre dans Négocier avec le diable une part de récit vécu et une part de réflexion éthique.

Fin de la Pax americana

Il constate en premier lieu que nous sommes entrés dans une période nouvelle de fin de l’hégémonie du monde occidental, les guerres en Syrie et en Ukraine en ont témoigné, une période marquée par une résurgence des conflits géopolitiques, une dérégulation de la force dans un monde multipolaire (prédit par Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations, paru en 1996) et la contestation des normes que l’Occident imposait au reste du monde sans nécessairement s’y tenir lui-même (cf. L’Irak en 2003).

La guerre en Géorgie (2008) pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, l’annexion de la Crimée (2014), la situation dans le Donbass et les autres foyers de conflit dans l’espace post-soviétique (Transnistrie en Moldavie, Nagorno-Karabakh en Azerbaïdjan) dans lesquels la Fédération de Russie est engagée n’y avaient pas suffi : jusqu’à la veille de l’invasion de l’Ukraine, peu d’observateurs pensaient que la Russie s’aventurerait jusqu’à attaquer l’Ukraine. Montesquieu avait tort, le commerce ne suffit pas à adoucir les moeurs. La guerre – les Russes la qualifie désormais ainsi – est aux portes de l’Europe.

Le 4 avril, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki interpella le président français : « Monsieur le président Macron, combien de fois avez-vous négocié avec Poutine ? Avez-vous obtenu quelque chose ? Il n’y a pas à négocier avec des criminels. Est-ce que vous négocieriez avec Hitler, Staline ou Pol Pot ? »

Comme s’il se fût agi de ça, le président de la République rétorqua : « Le premier ministre polonais est un antisémite d’extrême droite qui en plus combat les personnes LGBT. (…) Il soutient Marine le Pen, qu’il a reçue à de nombreuses reprises. Ne soyons pas naïfs, il veut l’aider avant l’élection. » La question était : négocie-t-on avec le diable, avec des criminels de guerre qui violent les normes fondamentales de l’espèce humaine ?

Volodymyr Zelensky en convint pourtant lui-même en mai : « Seule la diplomatie mettra fin à la guerre en Ukraine. » S’il est tentant d’envoyer le diable au diable, c’est illusoire. Paul Ricoeur, cité par l’auteur de Négocier avec le diable, écrivit que « si le politique était envoyé au diable, ce serait la raison elle-même qui chavirerait » tandis que Clausewitz parlait de la guerre comme de la politique par d’autres moyens.

Le nouvel ordre mondial qui s’initia après la chute de l’Union soviétique comportait comme horizon idéologique la démocratie, la bonne gouvernance, la lutte contre l’impunité, l’Etat de droit, les droits de l’homme, la lutte contre la corruption, la transparence, le développement économique, l’ouverture des marchés et la globalisation « néolibérale », selon l’énumération de Pierre Hazan. Le secrétaire général de l’ONU de l’époque parla d’extirper les causes les plus profondes d’un conflit : la misère économique, l’injustice sociale et l’oppression politique.

Nouvel ordre mondial

L’espace de médiation des conflits s’en trouva augmenté, mais s’y greffa une judiciarisation de la diplomatie que Pierre Hazan qualifie d’impérialisme judiciaire capable de supplanter la médiation. Il donne plusieurs exemples de ce dévoiement, le dernier en date étant l’activisme affiché par la Cour pénale internationale en Ukraine qui fit faire observer par l’ex-président russe Dmitri Medvedev que « l’idée même de châtier un pays qui a le plus grand arsenal nucléaire du monde est absurde ».

L’Histoire retiendra sans doute que les Etats-Unis n’ont pas su gérer l’après-Guerre froide. Avec leur « guerre contre la terreur », à la suite des attentats de New York en 2001, ils se sont projetés dans une croisade civilisationnelle (le « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes » du président George W. Bush) à forte connotation moralisatrice, donnant libre cours à une éthique de conviction (la leur, à laquelle eux seuls se soustrayaient à leur guise) par rapport à une éthique de responsabilité tournée vers l’efficacité et empreinte de pragmatisme et de compromis, plus proche de ce que prônaient un Henry Kissinger ou un Robert Gates.

N’est-il pas révélateur à cet égard que George W. Bush, parlant de l’Ukraine à Dallas en mai dernier, ait, dans un fort malencontreux lapsus, évoqué « l’invasion brutale et injustifiée » de… l’Irak (en 2003) ?

Négocier avec le diable, La médiation dans les conflits armés, Pierre Hazan, 160 pages, Editions Textuel.

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(Cette recension de Négocier avec le diable a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4055 du mercredi 28 septembre 2022.)

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2 comments

  1. Très intéressant comme question : faut-il ou faudra-t-il négocier avec Poutine ? Comme, pour reprendre ce que disait le premier ministre polonais, nos ancêtres n’ont pas négocié avec Hitler ? Avant toutes choses, il faudrait déjà savoir ce que l’envahisseur réclame. Et il l’a reprécisé : cessation des combats par l’Ukraine (reddition). Ce qui, plus tard (on ne sait pas quand), relancera l’invasion complète de l’Ukraine, et bien au-delà ; la volonté impérialiste – expansionniste de la Russie, très clairement dite et redite par son président est une réalité, même s’il n’en a plus les moyens. Dernier point : je regrette dans votre analyse que vous jetiez l’opprobre sur les USA, lesquels n’ont pas su maintenir la pax americana, sans y citer l’Europe attentiste qui ne fut même pas capable de contribuer sérieusement aux dépenses militaires de l’OTAN. L’électrochoc est là : l’Allemagne va enfin consentir à essayer de se doter d’une armée « sérieuse ». En attendant, la sempiternelle critique des USA me semble malvenue car, hors OTAN (et donc, sans les USA), nous serions (une partie) déjà à nouveau envahis.

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