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Capitalism (John Plender) : L’argent et les marchés sont-ils immoraux ?

Capitalism (John Plender) : L’argent et les marchés sont-ils immoraux ? Posted on 12 septembre 20151 Comment

Du mot capitalisme, le Larousse en ligne donne quatre définitions. C’est assez dire que la notion ne souffre d’aucune ambiguïté. En outre, aucune des quatre définitions ne s’applique à ce que d’aucuns qualifient de capitalisme d’état. Aussi, n’est-ce pas inutilement que John Plender, éminent journaliste au Financial Times depuis 1981, précise dans l’introduction de son livre Capitalism publié le mois dernier qu’il entend par capitalisme un système basé sur le marché où l’exercice privé de l’industrie et du commerce se fonde sur le droit de propriété, système qui, rappelle-t-il, a permis à des centaines de millions de personnes d’échapper à la pauvreté. Son propos n’est toutefois pas d’en prononcer le panégyrique mais de s’interroger sur les raisons de l’impopularité du système malgré l’extraordinaire dynamisme économique qu’il recèle et le constat qu’il a, plus que des armées de politiciens et de bureaucrates, contribué au progrès social.

C’est à cette analyse, étayée par la vaste culture historique, littéraire, philosophique et économique de l’auteur, que se réfère le sous-titre du livre, Money, Morals and Markets. Pourquoi le capitalisme est-il mal aimé ? Beaucoup s’interrogent sur sa légitimité et le fondement éthique du rôle de l’argent comme moteur de la croissance économique, relève Plender, mais en fait l’ambivalence à l’égard de l’argent précède le capitalisme de plusieurs siècles. Une cohorte de philosophes, d’ascètes, de devins, de poètes, d’artistes ont pris parti contre ceux qui s’enrichissaient, à commencer par Platon qui les accusait d’y perdre le sens de la vertu ou l’apôtre Paul qui voyait dans l’argent la racine de tous les maux. Pour ceux-là, la poursuite d’un gain matériel conduisait à l’appauvrissement moral.

Le rééquilibrage qui s’opéra dans l’attitude face à l’argent et aux marchés avec le développement du commerce et sous l’influence des Lumières fut rompu par une nouvelle vague de détracteurs quand apparut l’industrialisation et avec elle ce que Marx, Engels, Schiller et d’autres considérèrent comme étant une déshumanisation du travail. Selon John Plender, l’ultime revirement dans la longue marche de l’entreprise d’un statut de paria à une semi-honorabilité intervint lorsque Deng Xiaoping déclara que « to get rich is glorious ». Comme le fit remarquer Wu Jianmin, ancien ambassadeur de Chine en France, lors de la séance plénière de l’Université d’été du Medef en 2014, Deng passa une partie de sa jeunesse en France et sans doute tira-t-il toutes les leçons de ces années formatives au pays de la liberté et de l’entreprise triomphantes.

Cependant, la grande crise financière et ses conséquences économiques ont ébranlé cette confiance dans l’argent et le business et provoqué un violent contrecoup populiste à l’égard des banques et du monde de l’entreprise en général avec des relents de pensée keynésienne (qui voyait des « penchants animaux » dans l’esprit d’entreprise) et marxiste (qui interprétait le capitalisme comme seule volonté d’accumulation de capital). Désormais, c’est, conclut John Plender, à contrecoeur que l’on accepte le rôle vital de l’esprit d’entreprise dans la croissance économique.

Et, c’est là que se situe toute l’équivoque, entretenue à profusion par les socialistes, collectivistes et étatistes de tout poil qui s’en servent pour promouvoir leur modèle de société égalitariste : la crise de 2008 fut d’abord financière (« big money too big to fail »), puis morale quand les conséquences économiques de la première mirent en lumière l’enrichissement obscène que les uns tiraient de leur dissémination d’« armes financières de destruction massive » et les autres, d’une gestion calamiteuse à leur seul bénéfice d’entreprises qui ne leur appartenaient pas. La crise de 2008 constitua la énième manifestation de l’asymétrie d’information qui régit le rapport principal-agent dans les hautes sphères financières, économiques et politiques et des dérives d’un capitalisme de connivence. Elle ne peut servir à remettre en question la libre-entreprise et le marché comme piliers du bien-être et de la croissance économiques.

John Plender le perçoit bien ainsi. Prenant en particulier l’extraordinaire exemple de Thomas Edison, mais aussi d’autres, il allègue que les plus grands entrepreneurs ne sont pas motivés par l’argent (à cet égard, écrit-il, la pensée de Keynes qui dénonçait la soi-disant attraction morbide de l’argent comme ressort de l’initiative entrepreneuriale doit être considérée comme anti-sociale) et il consacre tout un chapitre à ce qu’il qualifie de détournement du capitalisme par les banquiers et un chapitre suivant aux économistes et autres sophistes de notre temps avant de s’élever contre la promiscuité des élites appartenant aux milieux du pouvoir politique, de la haute finance et de la très grande entreprise. Ce sont ces dérives n’ayant strictement rien à voir avec la dynamique entrepreneuriale et le fonctionnement du marché qui jettent le discrédit sur le capitalisme (tel que défini par Plender dans son introduction) et qui rendent l’auteur pessimiste quant à l’avenir du système, sauf à garder une confiance aveugle dans l’ingénuité humaine.

Capitalism – Money, Morals and Markets est un livre éclairé et équilibré, rédigé dans un langage limpide et empreint d’humour. A partir d’une perspective historique et philosophique, John Plender argumente de manière logique et non idéologique sur l’état du capitalisme au XXIe siècle. Il n’en néglige aucune facette (avec notamment des chapitres consacrés à l’or, à l’art et à la Chine) et nous invite en quelque sorte à écrire en toute connaissance de cause l’histoire future de ce système, qui reste, pour paraphraser Winston Churchill au sujet de la démocratie, la pire forme de gouvernance économique, à l’exception de toutes les autres formes qui ont pu être essayées de temps en temps.

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