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Le Choc des civilisations : Quelle place pour l’Occident ? (3)

Le Choc des civilisations : Quelle place pour l’Occident ? (3) Posted on 25 septembre 20211 Comment

« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. » Le propos est du Comte de Montalembert, le journaliste, historien et homme politique français (1810-1870, Discours, entretiens et autres sources). La même idée a été exprimée par Raymond Aron : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. » Voici la troisième et dernière partie de la recension du Choc des civilisations de Samuel Huntington.

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Dans son essai paru en 1996, Samuel Huntington avait prédit que, dans le monde multipolaire qui apparaissait, la notion de puissance globale serait dépassée et que l’équilibre mondial reposerait sur les Etats phares qui instaureraient l’ordre dans les principales civilisations, occidentale (chrétienne), orthodoxe, islamique, chinoise, japonaise, hindouiste, bouddhiste, latino-américaine et africaine.

Ce modèle civilisationnel conçu pour comprendre les évolutions des relations internationales après la dislocation du bloc soviétique en 1991 permet notamment de situer les frontières de « l’Europe ». Contrairement à ce qu’avança Emmanuel Macron lorsqu’il reçut le président Poutine à Brégançon en 2019, l’Europe ne va pas de Lisbonne à Vladivostok.

Ses frontières politiques historiques, multi-séculaires, se situent là où l’Empire romain fut divisé au IVe siècle entre peuples chrétiens d’Occident et peuples musulmans et orthodoxes et où fut créé au Xe siècle le Saint-Empire romain qui se considérait le continuateur du précédent. Les guerres des Balkans dans lesquelles s’affrontèrent chrétiens, musulmans et orthodoxes firent une démonstration de cette ligne de démarcation de manière tragique.

Certes, la Grèce constitue une anomalie dans l’Occident (elle n’a d’ailleurs jamais été un membre « facile » de l’OTAN ni de l’Union européenne), mais elle est le berceau de la civilisation classique et, par opposition aux Turcs et à la différence des Bulgares et des Roumains, les Grecs se sentent et sont intimement liés à l’histoire de l’Occident.

Faisant fi des différences civilisationnelles et de ce qu’il est la seule parmi les civilisations qui a eu un impact, parfois dévastateur, sur toutes les autres, l’Occident ne s’est jamais départi de sa vocation missionnaire, convaincu de la supériorité de ses valeurs de démocratie, de séparation des pouvoirs, d’Etat de droit, de libre-échange, de droits de l’homme et d’individualisme, et de la « fatalité » pour toutes les autres de s’y conformer.

« Les chocs dangereux à l’avenir, avertissait Samuel Huntington il y a un quart de siècle, risquent de venir de l’interaction de l’arrogance occidentale, de l’intolérance islamique et de l’affirmation de soi chinoise. » Nous y voici !

L’islam

Le président américain Bill Clinton et d’autres à sa suite ont soutenu que l’Occident n’avait pas de problèmes avec l’islam, mais seulement avec les extrémistes islamistes violents. « Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire », rétorque Huntington qui fait observer que les relations entre l’islam et le christianisme (qu’il soit d’ailleurs orthodoxe ou occidental) ont toujours été tendues. « Chacun a été l’autre de l’autre. »

La cause de cet antagonisme séculaire entre christianisme et islam réside, selon Huntington, dans la nature de ces religions et des civilisations qu’elles ont inspirées, visant dans leurs similarités autant que dans leurs différences au contrôle du pouvoir, de la terre et des âmes, religions monothéistes et universalistes en ce qu’elles prétendent connaître Dieu à l’exclusion de tout autre et incarner la foi véritable. En comparaison, le conflit entre le monde libre et le monde communiste au XXe siècle n’a été qu’un épiphénomène historique.

« Tant que l’islam restera l’islam (ce qui est certain) et que l’Occident restera l’Occident (ce qui l’est moins), écrit Huntington, ce conflit fondamental entre deux grandes civilisations et deux modes de vie continuera à influencer leurs relations à venir, tout comme il les a définies depuis quatorze siècles. » Que nul ne s’y trompe : « La réaffirmation de l’islam, quelle qu’en soit la forme spécifique, signifie la répudiation de l’influence européenne et américaine sur la société, la politique et la morale locales. »

L’Asie

L’Asie est, selon l’expression de Huntington, le « chaudron des civilisations ». A part l’africaine et la latino-américaine, toutes les autres s’y retrouvent et les Etats phares de la plupart d’entre elles y jouent un rôle : la Chine, l’Inde, le Japon, la Russie, les Etats-Unis. S’y ajoute l’Indonésie, puissance montante d’un monde musulman dans lequel plusieurs pays se disputent le leadership et peuvent le revendiquer pour des raisons diverses.

L’Asie se distingue aussi par la disparité des régimes politiques qui y sont en place et les différences de développement économique. Les sources de conflits y sont donc potentiellement légion.

Reste qu’à la veille de la Conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme qui eut lieu à Vienne en 1993, les pays asiatiques s’étaient réunis à Bangkok et mis d’accord sur une déclaration commune selon laquelle les droits de l’homme devaient s’interpréter en tenant compte du contexte national, régional, religieux et culturel hérité de l’histoire. Selon Huntington, la déclaration adoptée par la Conférence de Vienne constituait une régression par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948 et une défaite pour l’Occident.

Dominant en Asie, l’ethos confucéen instaure la primauté de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu et, partant, l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits de l’individu au collectif, le consensus, le long terme, des valeurs et attitudes en contraste avec celles auxquelles l’on adhère en Occident et, à cet égard, tout invite la Chine à jouer un rôle hégémonique en Extrême-Orient et par-delà car cette dernière dispose d’un ennemi tout trouvé pour assurer sa cohésion et s’est toujours considérée comme sans limites.

Or, l’émergence de la Chine en tant que puissance non seulement en Extrême-Orient mais aussi dans sa périphérie et par-delà (en Europe, en Afrique) constitue une atteinte aux intérêts vitaux des Etats-Unis… La richesse économique est susceptible de transformer un système autoritaire en une société plus pluraliste, mais ce ne semble pas être la tendance actuelle en Chine et les accords de celle-ci avec l’Iran et le Pakistan, entre autres, n’augurent en rien d’un apaisement dans le conflit de pouvoir qui l’oppose aux Etats-Unis.

L’Occident

L’âge d’or d’une civilisation prend fin lorsque, confrontée à l’émergence d’une puissance extérieure ou à un processus de désintégration interne, « elle n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire et elle s’ouvre aux envahisseurs barbares », écrivit l’historien américain Carroll Quigley (1910-1977) dans The Evolution of Civilizations. On légifère tant et plus, mais rien n’y fait : le déclin se poursuit, la désaffection intellectuelle, sociale et politique s’amplifie.

Dans un monde où les peuples se déterminent par leur appartenance culturelle, quelle place peut occuper une société dont le socle culturel s’effrite et qui est campée sur des principes exclusivement politiques ? Poser la question est y répondre. C’est pourtant celle que doivent se poser les dirigeants occidentaux avant que le déclin de notre civilisation ne soit consommé.

Le Choc des civilisations, Samuel P. Huntington, 544 pages (nouvelle édition 2021), Odile Jacob.

(Les deux premières parties de cette recension ont été publiées les 11 et 18 septembre 2021 : Une réédition à point nommé et Un monde ni plus occidental, ni moins dangereux.)

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(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4001 du vendredi 17 septembre 2021.)

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1 commentaire

  1. Bonjour monsieur Godefridi ,

    Très bel article final qui met en évidence les différences de culture et de façon de penser entre l’ Occident et l’ Asie , la primauté de la pièce individuelle sur l’ ensemble étant inversée entre nous , je vous suis entièrement .

    Et tout le monde sait que si chacun rame en rythme le bateau avance plus vite , plus fort et plus loin .

    Maintenant peut-être le chaos et l’ individualisme font découvrir des chemins qu’ un navire evoluant sous la direction d’ un même et unique capitaine ne prendrait jamais ! On aurait peut-être toujours pas découvert l’ Amérique …

    Et le culte du chef ainsi que son ambition démesurée conduisent à des catastrophes , demandez aux Allemands de 1930 .

    Bon week-end à vous et à vos lecteurs .

    Michel DUBAIL

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