Conformément à sa tradition, la Saxo Banque a publié, en ce dernier mois de l’année, ses « outrageous predictions », que certains qualifient improprement de « cygnes noirs » pour l’année à venir mais qu’il serait plus avisé de traduire par « prévisions outrancières », dès lors que Nassim Nicholas Taleb avait défini, dans son livre-culte « The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable », un cygne noir comme étant un événement imprévisible dont la survenance a un impact considérable et peut s’expliquer a posteriori, rendant l’événement moins « imprédictible » qu’il ne paraissait l’être.
Les dix prévisions outrancières de la Saxo Banque méritent d’autant moins le label de cygne noir en cette fin d’année que les conditions semblent réunies pour que les événements jugés improbables se produisent effectivement. Voici ces dix « cygnes noirs » pour 2018 et un commentaire succinct sur leur « prévisibilité ».
1) La Réserve fédérale américaine perd son indépendance et le Trésor américain en reprend les prérogatives. Le Trésor fixe un plafond de taux d’intérêt à 2,5% après une flambée des taux.
Commentaire : Si les taux d’intérêt américains s’emballent et la situation économique se détériore, la Réserve fédérale se verra pressée par les populistes des deux bords politiques de plafonner les taux d’intérêt afin d’offrir aux électeurs américains la possibilité de s’endetter à bon compte et de relancer l’économie. Trump, keynésien ?
2) La Banque centrale du Japon perd le contrôle de sa politique monétaire. Le cours de change JPY-USD augmente à 150 yens par dollar US avant de retomber à 100 yens.
Commentaire : Dans un environnement mondial inflationniste, la mainmise de la Banque centrale du Japon sur les taux d’intérêt se traduira par une dévaluation du yen. Ce dernier retrouvera un cours de 100 yens par rapport au dollar à la suite d’un revirement de politique monétaire en raison des effets néfastes de la dévaluation du yen sur l’économie du Japon (« inflation importée » et enchérissement induit du coût de la vie).
3) La Chine institue des contrats à terme sur le pétrole libellés en yuans. Le cours de change du « pétro-yuan » augmente à 6 CNY par dollar US.
Commentaire : La Chine est de loin le plus grand importateur de pétrole au monde. Plusieurs pays producteurs sont déjà très heureux de commercer en yuans. (Voir sous « La Chine et le yuan » dans le tour d’horizon du 31 octobre 2017 sur palingenesie.com.)
4) La volatilité sur les marchés financiers explose après un flash-crash de l’indice S&P 500 qui perd 25% de sa valeur de manière soudaine et vertigineuse.
Commentaire : La bulle financière touche toutes les classes d’actifs. Politiques d’assouplissement quantitatif et de contrôle des taux d’intérêt l’entretiennent. Le changement (prévu) des ces politiques est de nature à faire exploser la volatilité sur les marchés.
5) Les électeurs américains votent résolument à gauche lors des élections américaines de mi-mandat et ils provoquent une flambée des taux sur les obligations. Celles du Trésor américain à 30 ans dépassent un rendement de 5%.
Commentaire : Si Trump a déjoué tous les pronostics à droite, Bernie Sanders n’a-t-il pas manqué de peu d’en faire autant à gauche ? L’évolution démographique favorise la popularité des idées socialistes de ce dernier. La génération du millénaire est désormais plus nombreuse que celle des baby-boomers.
6) Une nouvelle alliance austro-hongroise prend l’ascendant dans l’Union européenne. Le cours de change EUR-USD retombe à la parité après une montée en flèche.
Commentaire : Des divergences importantes divisent anciens et nouveaux membres de l’Union Européenne sur les questions des travailleurs expatriés, des quotas d’immigrants et des valeurs démocratiques. Un axe eurosceptique Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) et consorts (l’Autriche du nouveau gouvernement ÖVP-FPÖ, l’Italie en cas de retour au pouvoir de Berlusconi, …) pourrait remplacer l’axe franco-allemand. Cela ne resterait pas sans conséquences pour la monnaie commune.
7) Les investisseurs shuntent le bitcoin après que les Etats contre-attaquent. Le cours du bitcoin retombe à 1.000 dollars US.
Commentaire : Est-ce le plus vaste « jeu du pouilleux » (« jeu du valet de pique ») de forme pyramidale jamais imaginé au niveau planétaire ? John Law, reviens, ils sont devenus fous. Les prévisionnistes de la Saxo Banque avaient prédit que sous l’effet d’une décision conjointe de la Russie et de la Chine d’interdire les crypto-monnaies, le bitcoin chuterait en 2018. La réalité a anticipé la fiction.
8) L’Afrique du Sud resurgit après un « Printemps africain ». Sa devise prend 30% par rapport aux devises européennes.
Commentaire : Après le « Printemps arabe », un « Printemps subsaharien » ? Mugabe démissionné, Zuma forcé de rentrer dans le rang, Kabila en partance, un vent de démocratisation et de libéralisation pourrait souffler sur l’Afrique subsaharienne et inciter les économies développées et émergentes en panne de croissance à y investir dans son développement. L’Afrique du Sud est bien placée pour en glaner le plus de bénéfices.
9) La capitalisation boursière de Tencent (une entreprise située à Shenzhen et spécialisée dans les services Internet et mobiles ainsi que dans la publicité en ligne) double et dépasse celle de Apple, détrônée en tant que reine des « market largest caps ».
Commentaire : Si la Chine ouvre ses marchés financiers, sa dimension énorme et l’accroissement du niveau de vie de sa population attireront les investisseurs du monde entier. Les actions technologiques susciteront le plus d’intérêt et, en particulier, Tencent dont la valeur boursière s’est accrue de 120% en 2017, soutenue par l’augmentation de 60% de son chiffre d’affaires au troisième trimestre d’une année à l’autre et celle de 50% de sa marge opérationnelle.
10) De plus en plus de femmes prennent les rênes du pouvoir. Elles dirigent 60 des entreprises reprises au classement Fortune 500.
Commentaire : Le triomphe des féministes ? Pas vraiment. C’est une victoire de la démographie. En effet, les femmes sont moitié plus nombreuses que les hommes à décrocher un diplôme de bachelier aux Etats-Unis et elles sont pratiquement aussi nombreuses que les hommes à le faire dans une école de management. L’égalité des genres entre dans l’ère du concret. C’est une bonne nouvelle pour l’économie mondiale car une étude de McKinsey avait conclu en 2015 qu’une parfaite égalité des genres ajouterait 28.000 milliards de dollars au produit mondial brut, soit autant que les PIB annuels combinés de la Chine et des Etats-Unis.
Non seulement il ne s’agit pas là d’un cygne noir car la probabilité de sa survenance est avérée, mais encore faut-il s’en réjouir dans un environnement économique marqué par la faible croissance et le vieillissement de la population.
Qu’il soit permis de conclure sur cette note optimiste et de vous souhaiter à toutes et à tous une Bonne Année 2018.
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