S’exprimant au sujet de la politique du climat, de la géopolitique et de la résilience de la démocratie dans un podcast de Betrouwbare Bronnen (en français : Sources fiables) datant du 25 janvier 2022, le premier vice-président et green dealer en chef de la Commission européenne, le travailliste Frans Timmermans ne voyait qu’une explication à l’accumulation de troupes russes aux frontières de l’Ukraine, à savoir le souci de Poutine de détourner l’attention du problème climatique dans son pays.
La discernement de l’inénarrable commissaire néerlandais (l’invasion subséquente de l’Ukraine par la Russie en témoigna) paraît symptomatique de l’état d’esprit idéologique qui règne dans les hautes sphères de l’Union européenne. De ce point de vue, le Pacte vert pour l’Europe est emblématique. Si la précaution est estimable, encore faudrait-il qu’elle soit exercée avec prévoyance et circonspection (les trois mots sont synonymes dans la langue française), à bon escient et non de manière sélective dans l’unique perspective d’un quelconque réchauffement du climat.
Cachez-moi ce TAR
Dans son troisième rapport (TAR), le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, IPCC en anglais) convint de ce que la prévisibilité dans un système chaotique tel que le climat est particulièrement difficile, dès lors que des composants du système sont intrinsèquement chaotiques. Il y a, écrivit-il, des rétroactions qui pourraient potentiellement changer de signe et il y a des processus centraux qui affectent le système d’une manière compliquée et non linéaire.
Conclusion du GIEC : « Ces dynamiques complexes, chaotiques et non linéaires sont un aspect inhérent du système climatique. Dans la recherche et la modélisation climatiques, nous devons reconnaître que nous avons affaire à un système chaotique non linéaire couplé, et donc que la prédiction à long terme des futurs états du climat n’est pas possible. »
Ce troisième rapport d’évaluation du GIEC datant de 2001, à moins que le climat ne se soit découplé de sa nature intrinsèquement chaotique et ne soit devenu linéaire entre-temps, les choses auraient pu et dû en rester là. N’est-il pas, du reste, abracadabrantesque qu’alors que c’est la guerre en Ukraine et la Russie agite la menace nucléaire l’ONU publie le 28 février 2022 sur son site une « info » selon laquelle les experts du GIEC s’alarment de ce que la planète serait en péril en raison non pas de l’imminence d’une guerre nucléaire mais des « conséquences énormes » du changement climatique ? Il n’y a pas que dans les couloirs de l’UE que l’on est hors-sol, dans ceux de l’ONU c’est pareil.
« Les croyants tiennent à leurs croyances au point même parfois de résister au démenti du réel », écrivent Gérald Bronner et Etienne Géhin dans leur essai sur L’inquiétant principe de précaution, car c’est bien ce qui explique que nous en soyons arrivés là ! Encore les événements récents, la crise sanitaire et la guerre aux frontières de l’Europe, ont-ils mis en évidence que le précautionnisme, fait idéologique majeur de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, n’est décidément que d’application très sélective, à moins que dans d’autres domaines où il eût été approprié il n’ait été victime d’imprévoyance ou d’incurie.
Le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993), dont l’oeuvre inspira le précautionnisme, s’est fait connaître grâce à son ouvrage principal, Le Principe responsabilité, qui parut en allemand en 1979 et en français en 1990. Il y développe une éthique pour l’âge technologique. L’environnement et les questions relatives au génie génétique sont au centre de ses préoccupations. « Pour lui, commentent Gérald Bronner et Etienne Géhin, il faut refuser de jouer à la roulette russe, même si le bénéfice escompté est immense, et même si le barillet du revolver comporte un million de chambres et une seule balle dans l’une d’entre elles. »
Or, la science ne peut atteindre ce degré de certitude, a fortiori en météorologie et en climatologie si on tient compte des travaux de Edward N. Lorenz et de sa théorie du chaos, partant de sa découverte que certains phénomènes naturels sont hypersensibles aux conditions initiales. Quand nous agissons sur des systèmes multifactoriels et complexes tels que l’écosystème, la démonstration du risque zéro est rigoureusement impossible : le principe de précaution nous dicte donc de nous abstenir.
Un formidable levier
C’est là que réside le formidable levier que procurent à l’écologie politique la pensée d’Hans Jonas et le principe de précaution. La mise en œuvre de ce dernier, instauré en norme juridique et censé guider l’action politique, peut entraîner une vision parcellaire de la réalité et des coûts faramineux pour la collectivité dès lors qu’il remplace une éthique de responsabilité par une éthique de conviction (de respect inconditionnel de la norme) et fait prévaloir l’opinion publique (qui adhère spontanément au risque zéro) par rapport à l’intérêt général.
Que les progrès de la science et des techniques dussent être passés au crible du risque zéro reflète, selon Gérald Bronner et Etienne Géhin, un sentiment anti-productiviste et ne serait qu’un moyen de combattre un système socio-économique jugé par trop injuste et dangereux pour l’humanité et une nature supposée équilibrée et bienveillante. Il s’agit d’un nouvel avatar de la prégnance, au sens de la Gestalttheorie, de l’idéologie politique étatiste, anticapitaliste et anti-libérale chez des individus que Claude Allègre, évoquant les écologistes, qualifia de « pastèques, verts dehors, rouges dedans ».
« Pour ce qui est de leur projet de société, avertissent les deux auteurs, il y a bien lieu de craindre, fascisme pour fascisme, que ces bien intentionnés vigilants [du risque] soient un jour, peut-être sans le vouloir, les promoteurs d’un écolo-fascisme. »
L’inquiétant principe de précaution, Gérald Bronner et Etienne Géhin, PUF Quadrige, 192 pages.
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(Cet article a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4027 du mercredi 16 mars 2022.)