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Kipchoge, record du monde du marathon : Comment faire taire sa souffrance ?

Kipchoge, record du monde du marathon : Comment faire taire sa souffrance ? Posted on 23 septembre 2018Laisser un commentaire

Berlin, 16 septembre 2018 : Eliud Kipchoge bat le record du monde du marathon (2 h 01 min 39 s). Après une époustouflante course en solitaire dans les derniers 17 km des 42 km 195 m de l’épreuve, il réussit un reverse split, c’est à dire qu’il parvient à courir plus vite sur la seconde moitié du parcours que sur la première alors que sur cette première moitié il était encore accompagné d’autres coureurs. (Photo : Marathon de Berlin – Victah Sailer@PhotoRun)

L’annonce de cette extraordinaire performance paraît, certes, de bonne heure, en première sur le site web de la télévision flamande, assurément le portail sportif le plus fréquenté de Belgique, mais, dès le soir, elle en avait déjà disparu ou, si elle s’y trouvait encore, elle n’y était guère visible, remplacée par les échauffourées, coups de coude et de boule, crachats et autres faits saillants qui avaient émaillé d’obscures rencontres de football de la journée. Est-ce assez dire où se porte l’intérêt « sportif » du commun des mortels ?

Que le quotidien flamand De Standaard, l’un des rares journaux de qualité subsistant en Belgique, ait, dans son édition du weekend (22-23 septembre), consacré un article intelligent à l’exploit du champion kényan, redresse en quelque sorte l’injustice qui consistait à ne considérer son record du monde que comme un simple fait divers.

Quand le coureur cycliste Jens Voigt, auteur de mémorables échappées en solitaire et au demeurant vainqueur de deux étapes du Tour de France, souffrait dans l’effort, il avait, paraît-il, pris l’habitude de crier à ses jambes : « Shut up, legs ! ». Eliud Kipchoge est un athlète beaucoup plus sophistiqué. Selon The New York Times, cité par Peter Vantyghem dans De Standaard, l’athlète kényan a élevé son niveau de performance à la pratique d’un art.

Eliud Kipchoge affirme que la souffrance n’est rien d’autre qu’un état d’esprit. La discipline, ajoute-t-il, rendant grâce à Confucius, le libère. Filip Boen, psychologue du sport à l’Université de Leuven (Louvain) relativise : il prévient que l’on ne peut considérer toutes les formes de souffrance comme purement subjectives.

La souffrance nous protège. Les personnes qui ne ressentent aucune souffrance (celles qui sont victimes de neuropathie héréditaire sensitive et autonomique) vivent généralement moins longtemps que la moyenne de la population. « Il est toutefois possible, précise Filip Boen, d’apprendre à reconnaître des formes de souffrance qui ne sont pas nuisibles à la santé et d’améliorer vos performances en les ignorant. »

Le siècle dernier, l’on considérait le corps comme une machine dont l’optimalisation des différents éléments aboutirait à une amélioration des performances. Au début de ce siècle, l’on s’est concentré sur le cerveau. Désormais, l’on cherche à comprendre les interactions entre le corps et l’esprit. De ce que Kipchoge déclare, il peut être déduit qu’il effectue instinctivement ces « interconnexions ».

C’est la raison pour laquelle, même en plein effort, on le voit sourire : il se force à penser à de belles choses, à ses trois enfants au Kenya, à la ligne d’arrivée qui l’attend. « Quand je cours, dit-il, je me sens bien. J’ai l’esprit serein. » Toujours dans cet article du journal De Sandaard, le psychologue du sport de l’Université de Leuven (KUL) explique : « Si vous vous battez contre la souffrance, celle-ci ne cessera en fait d’empirer. Vous devez la lâcher, ne pas lui prêter attention. L’on peut, par exemple, y arriver par la pratique de la méditation. »

Le professeur Boon, neurologue de l’Université de Gand, parle de « coping mechanismen » (mécanismes d’adaptation) et avance que Kipchoge semble avoir développé une forme parfaite de thérapie comportementale cognitive.

Ses « secrets » n’en sont pas : Kipchoge suit un régime alimentaire composé essentiellement de lait de vache, de riz et de farine de maïs, il respecte un horaire se conformant au rythme de la nature et une stricte routine d’entraînement, un style de vie spartiate que ce champion combine avec des liens étroits avec son entourage. Son temps libre, il dit le consacrer à la lecture d’auteurs classiques, pour se motiver, Confucius donc, mais aussi Aristote. Nul doute que Kipchoge ait intégré cet enseignement d’Aristote, ce philosophe parmi les plus influents que le monde ait connu : « L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est donc pas une action mais une habitude. »

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