Le sénateur belge et député bruxellois Alain Destexhe avait invité Mathieu Bock-Côté, intellectuel canadien, pardon québécois, à s’exprimer vendredi au siège du Mouvement réformateur à Bruxelles sur le thème de l’un de ses derniers livres, « Le multiculturalisme comme religion politique », thème qui suscite le débat tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Quelques dizaines de personnes étaient attendues, Mathieu Bock-Côté fit presque salle comble.
Chargé de cours à HEC Montréal, chroniqueur au Journal de Montréal et au Figaro, auteur du livre cité ci-avant, en 2016, et d’un essai sur les enjeux démocratiques actuels, « Le nouveau régime », en 2017, Mathieu Bock-Côté est un intellectuel jeune (37 ans), passionné et passionnant. Sa présence physique, son débit bouillonnant (entrecoupé d’une toux impatiente et récalcitrante), sa gestuelle à grands tours de bras, sa clarté de vue, la syntaxe et la cohérence de l’exposé rappelèrent à certains, entre les murs de ce qui fut le Parti réformateur libéral, la fougue oratoire d’un grand tribun du parti, l’un, le tribun, trop tôt disparu, l’autre, le parti, regrettablement « reformaté » en mouvance sociale-libérale.
A la demande d’Alain Destexhe, qui en avertit le public présent au moment d’amorcer la conférence, Mathieu Bock-Côté fut prié d’élargir le débat à la question du « politiquement correct », thématique qui fait l’objet actuel des travaux du sociologue et essayiste québécois et qui englobe la question du multiculturalisme comme religion politique.
Mathieu Bock-Côté s’insurge contre tout ce qui appauvrit le débat public et dénonce les apôtres de l’idéologie dominante qui dénaturent et réduisent ledit débat en en excluant leurs contradicteurs qu’ils n’hésitent pas à affubler d’étiquettes en « phobe » relevant de la morbidité psychopathologique (« homophobe » ou « islamophobe », à titre d’exemple).
Rejetant la dichotomie caricaturale droite-gauche comme non pertinente dès lors que tout qui n’adhère pas à ses idées est disqualifié par la gauche de toutes tendances comme étant de droite, Mathieu Bock-Côté dit, par contre, se retrouver dans l’appellation de « conservateur » dans le sens où il est attaché à une appartenance identitaire commune.
Ce qui l’agace profondément dans la question du multiculturalisme, c’est précisément l’émergence d’un projet d’égalitarisme identitaire qui, sous couvert de modernité, substitue à l’identité commune une diversité d’identités particulières et s’accompagne d’une auto-flagellation de l’Occident ainsi que d’une déconstruction de ses traditions et de ses valeurs et de la promulgation de lois mémorielles qui sacralisent l’idéologie anti-discriminatoire.
Constatant l’effondrement du communisme, une certaine gauche a, selon Bock-Côté, ainsi repris son projet de confiscation autoritaire, par une minorité, du débat public et, partant, de la démocratie.
L’essayiste québécois ne réfute bien entendu pas la diversité des opinions, au contraire il entend s’en prévaloir, mais il récuse ceux qui visent à psychiatriser le débat public et à l’enfermer. Au grand dam des « trumpistes » présents dans l’auditoire (il y en avait au moins un et, paraît-il, d’autres), Mathieu Bock-Côté, tout conservateur qu’il soit, ne partage toutefois pas leur enthousiasme pour le président twitteur-en-chef qu’il juge rogue et bourru. Entre Trump et Trudeau, il doit exister une autre voie, confie-t-il.
Qu’est-ce alors que le conservatisme selon Mathieu Bock-Côté ? C’est une idée de l’homme et de la civilisation à laquelle il appartient, l’assertion de ce que l’homme a besoin d’ancrages, d’un rapport à l’Histoire et à un héritage qu’il doit préserver pour le transmettre à son tour.
Le 20e siècle, explique le sociologue, a été celui de la tentation de l’homme nouveau. Il s’agissait, pour quelques ingénieurs sociaux prétendant avoir une connaissance scientifique du bien, d’arracher l’homme à sa continuité et de le resocialiser de manière nouvelle en fonction d’une utopie de la société parfaite. Or, l’Histoire a démontré qu’une telle utopie aboutit toujours à la tyrannie.
Cette utopie de l’homme nouveau, cette prétention de conditionner l’homme de manière nouvelle en fonction d’une idéologie dominante, l’agit-prop marxisante sont de retour sous une nouvelle parure.
Le conservatisme, au contraire, récuse cette prétention de l’homme à jouer un rôle de démiurge et à recréer la société et l’homme en façonnant ce dernier sur base d’une vision utopique de la première. Il n’appartient pas à l’homme de recréer ex nihilo l’homme et le monde ; il appartient à l’homme de le préserver, de l’aménager et de l’améliorer.
Il nous faut absolument nous opposer à tout ce qui nous priverait de notre liberté et de notre épanouissement personnel et aussi, bien sûr, nous méfier des populismes réducteurs qui se contentent de récupérer et d’instrumentaliser les inquiétudes de l’homme déboussolé par le vide de sens.
Les promesses de la classe politique consistent habituellement en autant de miroirs aux alouettes. Puisse Alain Destexhe néanmoins tenir la sienne d’inviter régulièrement d’autres orateurs de même qualité, dût leur discours, comme celui de Mathieu Bock-Côté, diverger du « politiquement correct ».
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