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« Les métamorphoses du contrôle social » (Romuald Bodin et al.)

« Les métamorphoses du contrôle social » (Romuald Bodin et al.) Posted on 28 février 2020Laisser un commentaire

Dans son roman Etat d’urgence, Michael Crichton, qui était médecin, diplômé de Harvard, en même temps qu’écrivain (Jurassic Park, La variété Andromède…), fait observer par l’un de ses personnages que l’apparition fréquente dans les médias de mots tels que crise, catastrophe, cataclysme, désastre, fléau, sans précédent, redoutable, date de 1989 et qu’elle coïncide avec la chute du mur de Berlin, le démembrement de l’Empire soviétique et la fin de la Guerre froide.

Le romancier fait formuler à son personnage l’hypothèse selon laquelle les inquiétudes pour le climat proviennent de la nécessité pour tout Etat souverain de soumettre ses citoyens à une certaine discipline, de leur imposer une certaine docilité et d’exercer un contrôle sur leur comportement. C’est ce que recouvre la notion de contrôle social et ce dernier s’exerce de préférence par la peur. « La chute du mur de Berlin a créé un vide. La nature a horreur du vide, c’est bien connu. Il faut mettre quelque chose à la place. »

Sommes-nous depuis une trentaine d’années, comme le présupposait Michael Crichton, sous l’influence et le contrôle d’un complexe comparable au complexe militaro-industriel d’antan mais tout nouveau et bien plus puissant, un complexe élitaire, d’ordre politique, médiatique, financier et industriel dont le projet est d’instiguer la peur dans la population sous le prétexte de la protéger ? « L’idéologie s’installe sur le vide de la pensée », écrit Diane Ducret dans La Dictatrice, qui évoque aussi la peur comme ferment de la politique et de la religion.

Les métamorphoses du contrôle social, un ouvrage collectif publié sous la direction de Romuald Bodin en 2012, constitue une référence de langue française en la matière.

Dans son excellente introduction à cet essai, auquel ont contribué dix-neuf spécialistes des sciences politiques et sociales, Romuald Bodin fait remonter la notion de contrôle social (« social control ») à la place qu’elle occupait dans la sociologie nord-américaine. Ce concept a suscité deux approches, expose-t-il, l’une « fonctionnaliste » (s’intéressant aux modes d’intégration sociale et imprégnée par l’oeuvre d’Emile Durkheim), l’autre « conflictualiste » (s’intéressant aux formes dans lesquelles s’exerce le pouvoir et ayant inspiré les travaux de Michel Foucault), soit l’étude de « l’apprentissage de la conformité », d’un côté, et celle de « l’endiguement de la non-conformité », de l’autre.

Du contrôle social de la cognition

Aucune de ces deux approches n’est pleinement satisfaisante. Se référant à ce que les Grecs anciens appelaient la diacrisis, Romuald Bodin propose de définir le contrôle social comme un processus qui ordonnance la réalité sociale, lui donne son sens et en fonde les différences, et la transforme aussi un système contraignant qui est le principe nécessaire à la domination et qui fait précisément l’objet du contrôle.

Le contrôle social s’exerce de différentes manières, soit en interne, implicitement, par tous et sur tous, soit de l’extérieur, à sens unique, par un groupe ou un individu sur un autre groupe, et soit en mode ouvert, quand les membres du groupe sous contrôle peuvent participer à la modification des normes, soit en mode fermé, quand ces dernières s’imposent à tous sans qu’elles ne soient négociables.

Comme le disait, cité par Romuald Bodin, le sociologue et théologien protestant libéral américain d’origine autrichienne Peter L. Berger (1929-2017), dans son Invitation à la sociologie, « aucune société n’est possible sans contrôle social ». Il ne s’agit donc pas de s’interroger s’il y a ou non du contrôle social, mais de quel type il est et s’il y a passage d’un type d’« institution sociale du sens » et de contrainte à un autre type.

L’anthropologue britannique Mary Douglas (1921-2007), également citée par l’auteur, parlait d’un « contrôle social de la cognition » en ce que « nous transférons à des institutions la tâche de penser [pour nous] ». Elle ajoutait : « Les institutions dirigent de façon systématique la mémoire individuelle et canalisent nos perceptions vers des formes compatibles avec le type de relations qu’elles autorisent. »

Les métamorphoses du contrôle social analysent sept axes qui ordonnent la vie sociale dans les sociétés contemporaines (sécurité, action sociale, administration d’Etat, frontières et immigration, santé, éducation, travail) en trois grandes parties (société et Etat, dispositifs et réglementations, pratiques ordinaires). Si les contributions réunies dans cet ouvrage collectif ne permettent pas d’en conclure définitivement, un renforcement des modes externes fermés de contrôle individuels et collectifs n’en paraît pas moins indéniable, Romuald Bodin en convient, dans toutes les sphères de la vie sociale et des sociétés contemporaines.

Les métamorphoses du contrôle social, essai collectif sous la direction de Romuald Bodin, La Dispute, 262 p.

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