Cela aide assurément à devenir un flâneur invétéré d’être lu par plus d’un million de personnes dans le monde. Cela aide aussi d’avoir du talent et de disposer d’une culture littéraire étendue. C’est le cas de l’essayiste britannique Tom Hodgkinson qui expose avec érudition L’art d’être oisif en vingt-quatre chapitres, chacun consacré à une heure de la journée et à la forme de paresse appropriée.
Las de sa carrière de journaliste, notamment au quotidien britannique The Guardian, Tom Hodgkinson, qui est né en 1968, fonde et devient le rédacteur en chef de la revue The Idler (L’Oisif) en 1993 et produit coup sur coup en 2005 et 2006 deux essais à succès, How to Be Idle (L’art d’être oisif) et How to Be Free (L’art d’être libre) que les Editions Les Liens qui Libèrent ont publié dans l’ordre inverse en français, en 2017 et 2018.
« Ma quête de liberté me conduit à me définir plutôt comme un anarchiste, concéda Tom Hodgkinson dans une interview accordée à La Tribune. L’anarchie, cela veut dire que des individus passent des accords entre eux et non avec l’État. Elle présuppose que les gens sont bons et qu’on devrait leur fiche la paix, contrairement à la vision puritaine selon laquelle nous serions tous mauvais et aurions donc tous besoin d’être contrôlés par une autorité. »
« Les politiciens, écrit-il dans L’art d’être oisif, devraient cesser de se mêler de ce qui ne les regarde pas et laisser les gens se débrouiller. »
Comment des Anglais butés et libertaires dans l’âme ont-ils fini par devenir les esclaves de l’Etat et servir le capitalisme, se demandait le philosophe et moraliste Bertrand Russell (1872-1970) dans son propre Eloge de l’oisiveté. Hodgkinson préconise que nous devenions responsables de nous-mêmes, que nous créions notre propre république. Si nous cédons nos responsabilités à d’autres – entreprise, gouvernement, … -, ajoute-t-il, lucide, c’est pour pouvoir les accuser quand tout va mal.
Les journaux n’aident pas les oisifs, admet-il, lui qui fut journaliste ! Ils ne parlent que de guerres, de famines, de mort, de politiciens corrompus, de scandales, de vols quand ce n’est de pédophilie. Ils génèrent l’anxiété au fil de leurs pages. « [Leur] bavardage creux nous servant un régime de peur, de haine, d’envie et de jalousie, les journaux nous détournent négativement de nous-mêmes, comme les feuilletons télévisés. » Il rapporte que l’écrivain Maurice Theroux lui dit un 9 janvier avoir débuté l’année de bonne humeur et l’attribuer au fait de ne pas avoir lu la moindre ligne du Daily Telegraph depuis neuf jours…
Que Tom Hodgkinson adhère au manifeste du Slow Food, qui s’en étonnerait, peu s’en offusqueront, encore que le déjeuner arrosé de trois martinis (le cocktail à base de gin et de vermouth blanc sec), conçu comme expression de l’efficacité américaine par l’ancien Président Gerald Ford (« se remplir les oreilles, l’estomac et le pif en même temps ») ne lui parut pas antipathique, en mode nietzschéen peut-être (« Ce qui ne me tue pas me rend plus fort »).
Ça, c’était au temps des bombances et des bamboches. Désormais, il préfère le thé et la promenade, l’un et l’autre lieux de rencontre. Le thé, comme tant d’inventions destinées à améliorer le quotidien, fut découvert fortuitement, en 2737 avant J.-C., par un oisif lorsque des feuilles provenant d’un arbre à thé sauvage tombèrent, selon la légende, dans une jarre d’eau bouillante. Le thé invite à la méditation, ainsi la promenade. Sherlock Holmes était une figure du paresseux : il observait la société de l’extérieur et pensait en déambulant. Quel bonheur d’être en compagnie de soi-même, détaché, sage, divin, libre.
Bien sûr, la pêche en est une autre manière et elle permet d’harmoniser le faire et le ne rien faire. Le tabac, dont l’introduction en Europe remonte à la fin du Moyen Âge, la fin d’une époque de certitudes religieuses, calme lui aussi l’anxiété. « Fumer unit l’être et le néant. » C’est s’émanciper. Une marque de cigarettes destinée aux femmes en avait exploité l’idée : « You’ve have come a long way, baby ». (Encore faudrait-il que fumer ne fût pas compulsif, car plus personne n’ignore que le tabac tue.)
« L’homme n’est jamais aussi peu oisif que lorsqu’il ne fait rien ni moins seul que lorsqu’il est seul », dit Cicéron, cité par Tom Hodgkinson dans L’art d’être oisif. Le malheur de l’homme ne vient-il pas, comme Pascal en avertit, de ce qu’il ne sait pas rester au repos dans une chambre ?
Et, « sans franchir sa porte, connaître le monde ». Mais, au travers de ce vers de Lao Tseu, l’évocation du Tao, du taoïsme et de la philosophie chinoise du non-agir n’est peut-être pas de mise, alors que nous sortons à peine du confinement auquel nous a contraints un virus chinois et que rester chez soi était devenu la nouvelle façon de sortir.
L’art d’être oisif dans un monde de dingue, Tom Hodgkinson, 336 pages, Editions Les Liens qui Libèrent.
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