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Débauches antiques : la Bible, les Anciens et le vice

Débauches antiques : la Bible, les Anciens et le vice Posted on 22 mars 2025Laisser un commentaire

Le but de cette recension n’est nullement de se déparer du sérieux dont cette chronique se réclame dans ses partages de lectures. Christian-Georges Schwentzel, l’auteur du livre dont il sera question, est professeur d’histoire ancienne à l’Université de Lorraine et spécialiste de l’Orient hellénistique et romain. Il a précédemment publié plusieurs ouvrages sur Cléopâtre, l’Egypte et les pharaons, La Fabrique des chefs : d’Akhenaton à Donald Trump et, sans qu’il n’y eût nécessairement un lien, un Manuel du parfait dictateur : Jules César et les « hommes forts » du XXIe siècle.

Les Débauches antiques ne constituent pas sa première exploration de la face cachée – si peu ! – du monde antique, sa ferveur pour Cléopâtre – dont l’insatiable libido est légendaire – le fait deviner, mais il y eut aussi une histoire érotique de l’Antiquité parue en 2019, Le Nombril d’Aphrodite. Qu’entend-on par « débauche » ? « Bauche », nous enseigne Schwentzel, désignait dans notre langue médiévale, l’endroit où l’on travaillait, un atelier.

C’est de là que viennent les mots « ébauche », le commencement d’une oeuvre, et « débaucher » dans le sens premier de se détourner de son travail, quel qu’en soit le motif, incitant Jean Calvin, au XVIe siècle, dans la version française de sa somme théologique, Institution de la religion chrétienne, à dénoncer la « débauche », l’arrêt de son travail pour s’adonner à d’autres occupations, parmi lesquelles certaines jugées inconvenantes.

Caractère relatif et subjectif du socialement correct

L’un des mérites de Schwentzel est d’insister sur le caractère relatif et subjectif du jugement avant tout moral qui définit le socialement correct d’une société et d’une époque, en fonction de l’idéologie prévalente, c.-à-d. de leur vision du monde et de l’ensemble de ses représentations. De ce point de vue, juger du passé d’après les normes du confort intellectuel présent constitue une imposture. Qui plus est, la débauche, est le revers de la médaille dont l’avers est ce par quoi une société se définit : « l’anti-norme nécessaire à l’expression de la norme ».

C’est aussi pourquoi la débauche offre, selon Schwentzel, un extraordinaire champ d’investigation à l’historien. Elle constitue même, dit-il, « l’objet historique idéal », dans la mesure où elle permet de mettre à jour « l’imaginaire social » des anciens qui ont bien dû inventer le vice avant qu’il n’existe, « pour que l’humanité existe ». De fait, les désirs charnels entre l’homme et la femme sont exposés dès le premier livre de la Bible (Genèse, 39, 1-7), quand la femme de l’officier de pharaon Potiphar, qui avait acheté un Joseph « beau de taille et beau de figure » aux Ismaélites lui dit platement : « Couche avec moi ! », préfiguration antique en quelque sorte de la chanson Lady Marmalade de Patti LaBelle.

Ce n’est pas anecdotique. Dans le livre des Proverbes, le mari est explicitement invité à « jouir » des charmes et, en particulier, des seins de son épouse, et le Cantique des cantique, dans lequel d’aucuns voyaient une allégorie de l’amour de Dieu pour son peuple ou de l’affection de Jésus pour son Eglise, serait bel et bien, d’après les exégèses les plus récentes, une ode à l’amour charnel : « A son ombre, selon mon désir, je m’assieds ; et son fruit est doux à mon palais. Il me fait entrer au cabaret. » (Ct. 2, 3-4) Il est à noter que l’idéologie endogamique de l’union apparaît dans le Cantique : « Bois l’eau de ta propre citerne. […] Pourquoi t’enivrerais-tu, mon fils, d’une dévergondée et embrasserais-tu le sein d’une étrangère ? » (A fortiori, si elle est moabite, issue d’un peuple réputé descendre de l’union incestueuse de Loth avec l’une de ses propres filles, et pareil, d’ailleurs, si elle est une Madianite.)

Contrôle social et légitimation des pouvoirs

Le récit biblique ne s’arrête pas là. Y transparaît clairement le rôle de fonction de contrôle social de la débauche et de légitimation des pouvoirs de la classe sacerdotale qui s’en investit. « Les prêtres, écrit Schwentzel, ne peuvent s’instituer que moyennant la création de règles prétendument sacrées dont ils s’autoproclament les gardiens, au nom de Dieu. » Il n’en va pas autrement avec le clergé des idéologies contemporaines. Chacune ne constitue-t-elle pas aussi « une fable morale élaborée dans le seul but de fonder le prestige social de l’élite sacerdotale et de maintenir le peuple en respect » ?

Et, il n’a pas encore été question ici des ébats publics (non au vu, mais au su et à l’entendu de tous) du prince Absalom, fils de David, roi d’Israël, avec les dix concubines de son père, ni des orgies de Néron. La Bible et les textes grecs et latins regorgent d’histoires et, quand il s’agit de débauche, les auteurs débordent d’imagination. Il n’en reste pas moins que quand prêtres hébreux, magistrats grecs ou sénateurs romains évoquent le vice, leur but est d’imposer une définition de la vertu qui sert leurs intérêts et de réprimer celles et ceux qui s’y opposent. De ce double point de vue et quant aux innovations radicales qu’introduit le christianisme, l’ouvrage remarquable d’érudition de Schwentzel est édifiant.

Débauches antiques, Comment la Bible et les Anciens ont inventé le vice, Christian-Georges Schwentzel, 312 pages, Vendémiaire.

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