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Emoi rétrospectif dans les casemates de la bien-pensance

Emoi rétrospectif dans les casemates de la bien-pensance Posted on 24 mai 20253 Commentaires

Le journal britannique The Guardian avait rapporté le 9 mai 2025 que « des commentaires inédits » – datant d’il y a plus d’une décennie – du nouveau pape Léon XIV sur le « mode de vie homosexuel » inquiétaient les catholiques LGBTQ et étaient en contradiction avec les commentaires sympathiques et inclusifs de son prédécesseur. Dans un discours prononcé en 2012 devant le synode mondial des évêques, le père Robert Prevost avait déclaré que « les médias occidentaux sont extraordinairement efficaces pour susciter dans le grand public une énorme sympathie pour des croyances et des pratiques qui sont en désaccord avec l’Evangile – par exemple l’avortement, le mode de vie homosexuel, l’euthanasie ».

Le philosophe et économiste américain Thomas Sowell a beaucoup écrit au sujet de l’intrusion des élites idéologiques – que Sowell qualifie d’« oints » – dans des institutions qui n’étaient en principe pas destinées à servir leurs agendas (l’Eglise catholique, les universités, les médias…) et qui ont été poussées à adhérer à des normes sociales préconisées par une classe intellectuelle croyant posséder le monopole du progrès moral et social. Ces élites présentent leurs opinions comme moralement supérieures et historiquement inévitables et ne s’embarrassent pas des faits empiriques. L’idéologie LBGTQ correspond à cette démarche intellectuelle et vise à ce que toutes les institutions, y compris religieuses, y adhèrent. Son rejet par un ecclésiastique est une position de principe, rare, qui va à l’encontre de cette immixtion de l’idéologie dans un domaine qui ne lui appartient pas.

Les « oints » et les autres

Dans son livre The Vision of the Annointed (1995), Sowell soutient la thèse que ces élites (politiques et culturelles) opèrent selon une vision du monde qui suppose leur supériorité morale et récuse les valeurs traditionnelles comme rétrogrades, sans toutefois s’intéresser à leur substance. La position exprimée par le futur pape, ancrée dans la doctrine catholique, résiste à cette pression en affirmant que la mission de l’Eglise est de défendre les vérités éternelles et non pas de refléter l’air du temps. Elle réaffirme le rôle de l’Eglise en tant que contrepoids aux idéologies séculières, rôle qui s’érode au fur et à mesure que les institutions se plient aux exigences des élites.

L’indignation rapportée par The Guardian est une réaction typique des « oints », lesquels rejettent toute critique des modes de vie alternatifs qu’ils préconisent comme moralement inacceptable, sans égard pour tout contexte théologique ou doctrinal. Les « oints » (les élus), dit Sowell, ne cherchent pas le dialogue, mais la soumission. Capituler devant des idéologues dont la vision est en conflit avec la doctrine de l’Eglise saperait toute raison d’être de l’Eglise. Le refus d’un représentant de l’Eglise de s’y plier revient à défendre l’intégrité intellectuelle et spirituelle de la doctrine catholique. Quand des institutions privilégient la popularité à court terme par rapport à l’intégrité à long terme, elles se condamnent. De ce point de vue, il est à espérer que le nouveau pape se démarque de son prédécesseur qui s’était montré plus accommodant, sans pour autant éviter des tensions.

Dans Intellectuals and Society (2009), Sowell explique comment les intellectuels dont les idées sont souvent le seul produit influencent la société via les médias, l’éducation et la culture dominante. Il accuse ces intellectuels de promouvoir des récits qui servent leurs opinions morales ou politiques, souvent sans responsabilité quant aux conséquences concrètes. Le traitement médiatique de propos comme ceux rapportés par The Guardian et tenus par celui qui était alors le père Prevost illustre une tendance à amplifier certaines déclarations pour les confronter à la version narrative dominante. Ce n’est pas tant l’exactitude ou le contexte de la citation qui importe que son écho idéologique dans la bataille culturelle.

Deux visions opposées de la nature humaine

Sowell a développé d’autres concepts clés sur le rôle des élites intellectuelles et la dynamique entre visions du monde opposées, la manière dont certaines idéologies s’imposent dans le discours public. Il oppose deux visions fondamentales du monde : une vision contrainte propre au conservatisme reconnaît les limites humaines, l’importance des institutions traditionnelles (comme l’Eglise) et la nécessité d’un ordre moral stable ; une vision non contrainte, souvent portée par les progressistes, croit en la perfectibilité de l’homme et dans la capacité des intellectuels et des experts à résoudre les problèmes sociaux « par le haut ». L’attitude du futur pape Léon XIV en 2012 relève d’une vision contrainte : elle défend la cohérence doctrinale avec la tradition chrétienne et une méfiance envers les changements culturels rapides influencés par les médias. A l’inverse, l’opinion dominante dans certains cercles occidentaux, y compris catholiques, incarne une vision non contrainte, où l’Eglise devrait adapter ses positions morales aux sensibilités contemporaines, notamment sur les questions LGBTQ.

La pensée de Thomas Sowell permet de lire l’épisode dont question non pas seulement comme un débat moral ou théologique, mais comme un conflit culturel entre visions du monde opposées. Les critiques à l’encontre du pape Léon XIV, selon l’analyse de Sowell, s’inscrivent dans une dynamique où l’élite intellectuelle et médiatique impose une orthodoxie morale progressiste, rejetant comme illégitime toute opposition, même religieuse, fondée sur une vision du monde traditionnelle. Selon Sowell, ce conflit entre continuité et changement est inévitable et structurel, car il repose sur des visions profondément opposées de la nature humaine – que les progressistes de tous bords jugent malléable et corvéable à merci – et de la société.

Les intellectuels refusent l’idée que la nature humaine n’est pas programmable, qu’il y a un substrat biologique et vitaliste au fond de chaque individu. Ce n’est que si la réalité sociale est le fruit d’une construction verticale et non horizontale que les intellectuels peuvent espérer jouer un rôle. Cela explique leur « tyranophilie », leur complaisance pour les tyrans de la pire espèce au siècle passé, et aussi leur mépris pour la biologie. Ils ont besoin de croire que l’individu est entièrement le produit de forces sociales, à défaut de quoi leur génie inné ne peut s’exercer.

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3 commentaires

  1. Oui, le conflit entre continuité et changement est inévitable, comme les différences entre humains, et on peut juste espérer une société qui accepté les différences…. tant qu’elles ne perturbent pas l’ordre, évidemment. Et je proposerais un enseignement utile qui parle de TOUT!

  2. Platon…. si on pouvait le voir à l’école, ce philosophe génial, élève de Socrate! Je sais bien qu’il n’a pas changé les mentalités mais il nous montre que la connaissance des choses nécessite un travail, des efforts pour apprendre et comprendre….

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