D’après le Sunday Times du weekend, le gouvernement britannique chercherait à repousser le Brexit jusqu’à la fin de 2019. Faut-il s’en étonner ? Gideon Rachman, grand spécialiste des affaires étrangères au Financial Times, avait, dès la fin du mois de juin, partagé son sentiment que le Brexit n’aurait pas lieu (« I do not believe that Brexit will happen »). Les velléités de repousser la date d’ouverture des négociations en vue de la sortie de la Grande-Bretagne et donc de son départ effectif de l’Union européenne démontrent, s’il était encore nécessaire, le niveau d’impréparation du parti conservateur pourtant au pouvoir depuis 2010 et initiateur du référendum.
Piloté par des élites déconnectées de la réalité du terrain, social et économique, le gouvernement sortant n’avait pas anticipé l’aversion du peuple britannique à l’égard du projet européen (contraire à sa mentalité insulaire) et le nouveau gouvernement, après avoir annoncé que le Brexit aurait bien lieu, se trouve à présent confronté aux premières conséquences économiques du rejet.
Outre la difficulté à réunir les compétences nécessaires, le gouvernement de Mme May invoquerait toutefois aussi les échéances électorales françaises de 2017 et allemandes de 2018 pour justifier sa volonté de retarder le divorce. Faut-il lui rappeler que les prochaines élections législatives au Royaume-Uni sont prévues le 7 mai 2020 ? Le divorce sera-t-il consommé d’ici là ou jouera-t-on les prolongations avec une coalition nationaliste Le Pen-Mélenchon au pouvoir en France, une coalition rouge-verte-écarlate (SPD-Die Grünen-Die Linke) en Allemagne et une coalition des travaillistes et des indépendantistes écossais au Royaume-Uni ?
Les premières conséquences économiques de ce non fait qu’est le Brexit se sont manifestées au Royaume-Uni avant même que le résultat du référendum ne soit connu. Conscients de l’attachement viscéral du peuple britannique à sa monnaie et à ses traditions et de son hostilité à l’égard de tout abandon de souveraineté (la Reine elle-même n’était-elle pas en faveur du Brexit?), les plus avisés ont vendu leurs livres sterling contre euros dès avant le vote et n’ont pas eu de raison de le regretter par après.
Conséquence directe de la dévaluation de la livre sterling par rapport à l’euro et au dollar, les prix à la consommation ont augmenté sous l’effet d’une inflation importée et la hausse des prix a tout naturellement entraîné une baisse des dépenses. Cette diminution s’est notamment manifestée dans l’immobilier, secteur clef de l’économie, et dans la consommation privée. Enfin, victime de l’incertitude (Brexit ou pas Brexit? Quand? Comment?), l’emploi est en berne : recruteriez-vous du personnel alors que les perspectives de marché (intérieur, européen, financier) sont floues ? L’horizon s’est considérablement assombri et les prévisions de croissance ont été revues à la baisse.
Le gouvernement britannique dispose, semble-t-il, de deux instruments pour sortir du cercle vicieux et déjouer la spirale de la décroissance, la fiscalité et l’emploi. Il relancerait la demande intérieure en diminuant sélectivement la part de l’Etat dans la consommation (par une TVA moindre sur la construction, les produits de l’agriculture et les biens de consommation habituellement produits en Grande-Bretagne, par exemple) et en assouplissant la législation du travail (par rapport à l’embauche et au licenciement de personnel et à la flexibilité contractuelle), ne serait-ce qu’au niveau des petites et moyennes entreprises, afin de réduire le risque entrepreneurial en conjoncture incertaine.
Pour que ces deux types de mesures puissent être mis en place et sortir tous leurs effets dans les plus brefs délais, la Grande-Bretagne devrait s’extraire au plus vite du carcan normatif européen. Aussi, la volonté apparente des dirigeants britanniques d’atermoyer est-elle incohérente et incompréhensible. En attendant, la situation dans laquelle s’est mise la Grande-Bretagne constitue un avertissement à l’égard de tous ceux qui prêchent l’aventurisme à bon compte pour satisfaire leur propre avidité de pouvoir politique.
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