Dans le numéro de novembre 2021 du magazine politique belge néerlandophone Samenleving en Politiek qui se décrit comme engagé de manière non partisane en faveur de la social-démocratie et dont la rédaction est à Gand, le ministre d’État Louis Tobback, ancien vice-premier ministre fédéral, bourgmestre de Leuven et président du parti socialiste flamand, compare Mark Elchardus, l’un des idéologues dudit parti à son époque, à Henri de Man.
C’est la pire insulte qu’un socialiste belge puisse adresser à un autre socialiste belge. Professeur d’université, penseur du planisme et d’un néo-socialisme national et autoritaire, Henri de Man devint président du Parti ouvrier belge après la mort d’Emile Vandervelde en 1939 et fut condamné par le Conseil de guerre pour trahison après la fin de la guerre.
Son Manifeste du 28 juin 1940 qui prône la collaboration avec l’occupant et décrète que « la guerre a amené la débâcle du régime parlementaire et de la ploutocratie parlementaire dans les soi-disant démocraties » et que « pour les classes laborieuses et le socialisme, cet effondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance » n’eut décidément pas l’heur de plaire. Marxiste à l’origine, Henri de Man fit la démonstration que le national-socialisme était bien un socialisme, en fût-il un dont les socialistes ne s’enorgueillissent pas.
Flinks
« Il m’a été demandé, reconnaît Louis Tobback, d’écrire un commentaire sur le récent essai de Mark Elchardus, Reset, la raison en étant que pendant ma présidence du parti socialiste flamand Elchardus en fut largement considéré comme l’idéologue maison. Bien que cette fonction n’eût pas été prévue dans les statuts du parti et que le titre n’ait été entériné par aucun congrès du SP, on ne peut nier qu’il a représenté ce qui pour beaucoup d’entre nous et en particulier pour moi constituait notre analyse. »
Sa qualité de sociologue renommé de la VUB était vue comme un gros plus, même s’il était qualifié dans les milieux de gauche de « flinks » (un néologisme néerlandais qui signifie, d’après encyclo.nl, « zachte positieve preventie als het kan, harde repressie als het moet », prévention positive douce si possible, répression dure si nécessaire ; flinks pour facho de gauche en quelque sorte ?).
Ajoutant l’insulte à l’opprobre, Louis Tobback déclare avoir eu l’impression d’être en présence avec Reset d’une version light des théories de Henri de Man, voire de recettes pour taliban, et si ce n’était assez, il lance dans De Morgen : « Même Hitler et Staline ont fait l’effort d’organiser des procès fictifs. » Louis Marie Joseph !
Dans une interview accordée à ‘t Pallieterke, Mark Elchardus ne se montre pas autrement ému par les propos outrageux de son ancien président de parti, le sociologue et ancien professeur de la VUB affirmant avoir reçu beaucoup plus de réactions positives que négatives à la suite de la parution de Reset, y compris du sein du Vooruit, l’actuelle dénomination du parti socialiste flamand.
L’analyse savante et élaborée d’Elchardus contraste, observe ‘t Pallieterke, avec le côté superficiel du discours de l’actuel jeune président du Vooruit, Conner Rousseau, alias King Connah sur Twitter, gratifié de 150.000 suiveurs sur Facebook. En fait, beaucoup voient dans Reset un plaidoyer pour un changement de cap stratégique radical de la gauche.
« Elchardus va à l’encontre de la politique d’ouverture des frontières, la migration illégale débridée, l’absence de politique migratoire et des diktats de la Cour européenne des droits de l’homme. Il émet des réserves sur l’idéologie woke et la législation anti-discrimination. Il prône un système de points pour les migrants et des sélections plus strictes aux frontières extérieures de l’Europe. Il ne jure que par la pensée communautaire au niveau de la nation. »
C’est ainsi que ‘t Pallieterke résume tout à la fois ce que d’aucuns reprochent à l’auteur de Reset et ce dont d’autres se réjouissent de ce que ce soit exprimé par une figure emblématique de la gauche. Fini le temps des Teletubbies, du Big Shift et de l’adhésion des socialistes flamands aux nouvelles causes sociétales en vogue ! Fini le rejet par-dessus bord de toute forme de pensée communautaire dans une énième tentative d’assurer la survivance du socialisme en Flandre !
Stupeur et tremblements
L’ancien vice-premier Louis Tobback concède dans sa diatribe contre Elchardus dans Samenleving en Politiek que le « néo-libéralisme » de Thatcher, Reagan, Hayek, Friedman a contraint son parti à la défensive sur l’axe socio-économique et que ledit parti a cherché refuge dans le domaine éthique (avortement, euthanasie, mariage homosexuel, etc.) où il a rejoint la faction libérale progressiste, ce qui leur a permis de gouverner ensemble.
Le livre d’Elchardus plonge donc le Vooruit (le PS flamand) dans « la stupeur et les tremblements », comme qui dirait. Certains craignent un durcissement des positions du parti sur les questions relatives à la migration et l’intégration. Conner Rousseau s’est d’ailleurs déjà dit partisan d’interdire le port du foulard à l’école aux moins de seize ans et a déclaré que « les migrants qui consciemment se refusent à apprendre le néerlandais n’ont pas grand-chose à faire ici ».
Bref, le « modèle danois » – c’est à dire la politique des socialistes danois en matière d’immigration – gagne en crédit. C’était le modèle préconisé par Theo Francken dans Continent sans frontière, son essai paru en 2018. Comme quoi ! Si Conner Rousseau se rend compte que le Vooruit ne fait plus le poids, le livre d’Elchardus, juge ‘t Pallieterke, arrive à point nommé pour en redéfinir la stratégie et à s’arrimer à la N-VA, le parti nationaliste flamand de tendance libérale inclusive, lui-même en plein recentrage face au parti nationaliste flamand « dur » qu’est le Vlaams Belang, qui était en tête dans les sondages et ne l’est plus dans le dernier…
Mais, ce n’est de loin pas le seul intérêt de l’essai de Mark Elchardus, un essai que l’ancien rédacteur en chef du Knack et commentateur de la politique belge Rik Van Cauwelaert considère comme l’un des plus importants livres politiques de la décennie dans les Lage Landen. Nous y reviendrons dans le prochain article.
Reset – Over identiteit, gemeenschap en democratie, Mark Elchardus, Ertsberg, 608 pages.
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(Cet article a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4028 du mercredi 23 mars 2022.)
MERCI pour cette bonne nouvelle!