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Reset : Elchardus contre les Lumières ?

Reset : Elchardus contre les Lumières ? Posted on 9 avril 2022Leave a comment

Drôle de drame que celui qui s’est déroulé, cette chronique l’évoquait la semaine dernière, dans le sérail socialiste flamand avec la parution du Dikke Elchardus comme l’éditeur y fait référence avec un zeste d’irrévérence. Mark Elchardus serait-il entre le zist et le zest ?

« J’ai estimé qu’il était de mon devoir, explique Louis Tobback, le ministre d’État et ancien président du parti socialiste flamand, de lire le gros Elchardus de la première page à la page 605, marqueur à la main, et, ayant lu bon nombre de commentaires, je ne puis m’empêcher de penser qu’il n’y a pas grand monde qui puisse revendiquer d’en avoir fait autant et il en restera sans doute ainsi. »

« Tant de savoir entassé dans 552 pages de texte, 19 pages de bibliographie (en petits caractères) et 33 pages de notes pour produire un cours universitaire de 500 pages et conclure avec un pamphlet politique de 50 pages, est difficile à digérer. Reset, comme Das Kapital, prédit l’ancien vice-premier ministre fédéral, sera sur de nombreuses étagères. Et peu l’auront lu. » Leurs visions du socialisme s’opposent sur ce que Tobback pense qu’une société socialiste n’est possible que dans des ensembles plus vastes (l’internationalisme) et Elchardus ne verrait le salut que dans des ensembles plus petits et homogènes (le nationalisme).

Ne serions-nous que deux à l’avoir lu, ce ne serait pas rendre à Elchardus le mérite qui lui revient et encore n’en avons-nous pas, Tobback et votre serviteur, retenu la même chose. Faut-il s’en étonner ?

Nos horizons philosophiques ne sont décidément pas les mêmes, ni le moment où nous avons ingéré cette brique, tout au début de laquelle – ce n’est rétrospectivement pas inintéressant vu l’actualité de ces dernières semaines – Elchardus situe la naissance de l’Occident à la victoire inattendue d’une coalition improvisée de cités-États grecques rivales et disputailleuses sur le grand roi perse Xerxès, à la tête d’une armée de 40.000 à 200.000 hommes selon les historiens modernes (1,7 million, selon Hérodote), dans la deuxième guerre médique, au Ve siècle avant notre ère.

Fast forward au XIXe siècle : l’Occident est devenu une puissance technologiquement supérieure, expansionniste et arrogante qui s’impose à tous et partout, sans que les autres civilisations n’aient pour autant jamais renoncé à leurs particularismes, ni ne lui pardonnent sa domination (c’est la thèse de Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations), obligeant l’Occident désormais en pleine confrontation avec elles à prendre conscience de ses propres spécificités, de son identité. Si c’est ce qu’Elchardus postule, ce n’est rien de déraisonnable, mais c’est un aspect subsidiaire de sa somme.

Les affres du libéralisme

L’essentiel réside ailleurs, dans son aversion pour le libéralisme. « De stelling die in dit boek wordt verdedigt is dat het liberalisme destructief is. » « La thèse défendue dans ce livre est que le libéralisme est destructeur. » Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement… Il existe, explique-t-il, une tension entre la pensée libérale qui affirme la primauté de l’individu sur la société et une pensée communautaire qui revendique la prépondérance des institutions collectives, lesquelles garantissent les droits et les libertés de l’individu. Cette tension, dit-il, date du XVIIIe siècle et de l’émergence de la philosophie des Lumières. Il en distingue une version partielle (le libéralisme) et une radicale (le socialisme).

Et, à l’intention de qui douterait encore de son obédience, Elchardus ajoute que ce n’est pas d’hier que date le sentiment selon lequel l’Homme a perdu la maîtrise et est devenu la victime du progrès des sciences et des techniques et que l’idée de Marx et Engels dans le Manifeste communiste de faire une distinction entre forces de production et rapports de production a retrouvé toute son actualité. Sauf à ce que le progrès du savoir et du savoir-faire et les forces de production qu’ils engendrent ne soient mis au service de la collectivité grâce à des cadres de pensée, des institutions et des lois à cet effet, ledit progrès, selon lui, ne profitera pas à l’ensemble.

Raison et émotions

C’est le reproche qu’Elchardus adresse au « néolibéralisme » (c’est habituellement de reproches qu’il s’agit lorsqu’on en parle ainsi), d’avoir organisé une circulation internationale intense du capital, des marchandises et des personnes dans un monde cosmopolite qui privilégie une élite, laquelle l’est elle aussi, et efface les identités, avec pour conséquences un impact plus important du capital dans la gouvernance financière et économique de la société par rapport aux institutions démocratiques et une désaffection des gens, lesquels se tournent dans leur quête d’identité vers les partis nationalistes.

Qu’à la suite Elchardus critique les dérives de notre société contemporaine, le côté selfie de ceux qui se contentent de parler d’eux-mêmes et postmoderniste de ceux qui considèrent la vérité comme un argument de pouvoir, tous adhérant au primat de l’émotion sur la raison, paraît cohérent. Il le reste quand il met en garde contre les restrictions de la liberté d’expression et la censure qu’entraînera le fait de ménager les sensibilités des uns et des autres et il s’insurge contre ce revirement.

D’une part, c’est précisément la critique d’un pouvoir absolu d’inspiration dogmatique qui fonde le rationalisme des Lumières et on en arrive au XXIe siècle à considérer cet esprit critique comme une marque de racisme et de haine, et, d’autre part, comment n’y décèlerait-on pas en effet l’une de ces multiples attaques contre les piliers de notre civilisation ? Elchardus parle d’oikophobie au sens où l’entend le philosophe (conservateur!) anglais Roger Scruton pour désigner les idéologies politiques qui répudient leur propre culture et en louent d’autres.

Mais si Elchardus prêche contre toute politique de discrimination identitaire, fût-elle prétendument positive, et pour l’assimilation au sein de la communauté, cela reste au nom d’une fraternité d’ordre messianique dont le sacerdoce est exercé par quelques-uns sinon au profit du moins au nom de tous. Et ça, c’est bien dans la tradition de l’onirisme rousseauiste qui caractérise le socialisme.

Reset – Over identiteit, gemeenschap en democratie, Mark Elchardus, Ertsberg, 608 pages.

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(Cet article a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4029 du mercredi 30 mars 2022.)

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