Jack Ma a disparu depuis le mois d’octobre dernier. Ses deux entreprises phares sont manifestement dans le collimateur des autorités chinoises, Alibaba, l’entreprise de commerce en ligne, et Ant Group, une entreprise financière, dont le report de l’introduction en bourse pour un montant de 37 milliards de dollars US, l’IPO la plus importante au monde, constitua un présage. Le Financial Times a mené l’enquête et publié ses conclusions dans son édition européenne du weekend dernier.
Cela faisait un certain temps que plusieurs banques d’État chinoises et leurs régulateurs s’étaient inquiétés de ce que le principal fonds du marché monétaire (c’est à dire un fonds qui investit les capitaux principalement dans des instruments du marché monétaire, des dépôts et des obligations à échéances courtes) d’Ant Group avait accumulé jusqu’à plus de 260 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Les dirigeants des banques d’Etat et les responsables de la réglementation avaient exigé que les montants placés auprès du fonds en question, Yu’E Bao, soient plafonnés.
Yu’E Bao attirait beaucoup de capitaux en provenance des autres banques. Ces dernières craignaient l’impact sur la liquidité et exigeaient qu’Ant Group prenne des dispositions pour minimiser cet impact. En fin de compte, Yu’E Bao avait imposé des plafonds sur les montants que ses dépositaires pouvaient lui confier. Entre mars et décembre 2018, ses fonds sous gestion avaient baissé d’un tiers, à 168 milliards de dollars. Ils s’élevaient à 183 milliards de dollars en septembre dernier.
Accessoirement, Alipay, l’application de paiement d’Ant Group, est régulièrement utilisée par 700 millions de personnes – cela correspond à la moitié de la population de la Chine – et par 80 millions de commerçants et elle a traité des paiements d’un montant total de 118.000 milliards de yuans (18.200 milliards de dollars) au cours du dernier exercice financier du groupe.
Le dossier Ant (ant signifie fourmi en anglais, ce qui n’a pu échapper à M. Ma, qui maîtrise et enseigna l’anglais) s’avéra n’être qu’un prélude. La suite qui lui sera donnée pourrait déterminer le sort réservé aux entreprises privées dans la Chine de M. Xi.
Le mois dernier, le régulateur du marché chinois annonça qu’il avait lancé une enquête antitrust sur Alibaba et il a envoyé des enquêteurs à son siège dans la ville de Hangzhou, la ville natale de M. Ma, dans l’est de la Chine. L’annonce est intervenue deux semaines après que le bureau politique du Parti communiste chinois eut averti qu’il ciblerait les entreprises monopolistiques pour empêcher « l’expansion désordonnée du capital ».
Les actions d’Alibaba ont chuté de près de 30% depuis fin octobre, ce qui a fait fondre la fortune de M. Ma de 62 milliards à 49 milliards de dollars. La Hurun China Rich List (voir l’email personnel envoyé par Palingénésie à ses abonnés le 20 octobre 2020) a estimé que M. Ma était l’homme le plus riche de Chine jusqu’à aussi récemment que… le 20 octobre 2020. Il aurait rétrogradé à la quatrième place, la première étant occupée par un magnat de l’eau en bouteille, Zhong Shanshan.
Que ses entreprises soient visées ou que ce soit M. Ma lui-même, lequel est pourtant membre du Parti communiste chinois, le moment paraît décisif quant au type de relations qu’entretiendront le parti et le secteur privé ainsi qu’au type d’économie qui prévaudra en Chine à l’avenir.
Depuis que Deng Xiaoping a lancé « l’ère de la réforme et de l’ouverture », il y a 40 ans, le parti est devenu de plus en plus dépendant du secteur privé pour assurer la croissance économique, source de création d’emplois et de recettes fiscales. Mais l’obsession quant à l’exercice d’un contrôle politique et social, surtout depuis l’accession de M. Xi au poste de Secrétaire général du Parti communiste chinois et à la présidence de la République populaire de Chine, suscite des répressions périodiques contre le secteur privé et les entrepreneurs de premier plan.
Il est bien sûr possible que les enquêtes sur Ant Group et Alibaba aboutissent tout simplement à des dispositions similaires à celles des États-Unis et de l’UE à l’égard de grands groupes financiers et technologiques, auquel cas la taille des deux entreprises phares de Jack Ma serait réduite, mais elles demeureraient aussi formidables et rentables.
Un message politique fort a toutefois été envoyé. Les magnats chinois peuvent développer des entreprises prospères et accumuler d’énormes fortunes pour autant qu’ils restent loyaux à l’égard de la haute direction du parti, lequel veut s’assurer que ni M. Ma ni personne d’autre ne franchit la ligne rouge consistant à essayer d’exercer publiquement une influence personnelle sur les politiques du gouvernement, lequel les soutiendra à condition qu’ils servent d’abord l’intérêt national. C’est là que le bât blesse.
Car M. Ma n’est plus apparu en public après qu’il eut prononcé un discours très médiatisé critiquant les banques d’Etat auxquelles il s’était heurté à propos de la croissance de Yu’E Bao ainsi que les régulateurs qui, selon lui, sacrifieraient l’innovation sur l’autel de la stabilité. « Innover sans prendre de risques, c’est étouffer l’innovation », aurait déclaré M. Ma. « L’innovation sans risque n’existe pas dans le monde. Très souvent, une tentative de minimiser le risque à zéro est le plus grand risque en soi. »
En se prononçant ainsi, Jack Ma contredisait ouvertement les propos du puissant vice-président de la République populaire, Wang Qishan, lequel avait insisté sur l’importance primordiale de la stabilité du système financier. Selon lui, si les nouvelles technologies financières ont apporté un surcroît d’efficacité et de commodité elles ont aussi accru les risques.
Mais, au fond, M. Ma, qui a été recalé dix fois à l’entrée de l’université Harvard et avait même été jugé inapte à servir du poulet frit dans les premiers Kentucky Fried Chicken chinois, n’avait-il pas raison sur ce qu’il dit à propos du risque et n’est-ce pas précisément l’aversion au risque, matérialisée dans le fameux principe de précaution si cher à la Vieille Europe égalitariste et décadente, qui fait qu’elle n’ait pas de Jack Ma, ni de Steve Jobs, d’Elon Musk, de Larry Page, de Sergey Brin, de Jeff Bezos, de Mark Zuckerberg, ni aucun autre qui ait créé la moindre entreprise de la notoriété de celles qu’ils ont fondées ?
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La Vieille Europe et ses lubies font aussi l’objet de l’essai On vous trompe énormément : L’écologie politique est une mystification que Palingénésie a publié en avril 2020. Commandez le livre en version papier ou au format kindle sur Amazon.fr en suivant ce lien.
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MERCI pour ce texte et bien compris que tuer le risque, c’est tuer l’innovation! L’Europe savait cela il n’y a pas longtemps…..