Préfacé par Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque centrale européenne, c’est du sérieux « La Descente aux enfers de la finance », le dernier livre en date de Georges Ugeux. Une relation financière m’en disait l’autre jour : « Oui, on connaît. La fin du monde est pour bientôt. A force de la prédire, Ugeux finira bien un jour par avoir raison ! » Ne faudrait-il pas s’en inquiéter ?
Dans La Descente aux enfers de la finance, Georges Ugeux, qui dispose de la double nationalité belge et américaine, fut vice-président du New York Stock Exchange, enseigne à l’école de droit de la Columbia University et a fondé une société de conseil, Galileo Global Advisers, remonte d’abord aux tenants et aboutissants de la crise financière de 2008 pour noter que pas grand-chose n’a changé dans l’univers de la finance, à savoir sa duplicité, les complicités et l’opacité dont cet univers profite – et pas rien qu’au figuré – au niveau le plus haut du pouvoir.
« La finance, écrit Georges Ugeux, est un terrain de jeux où les milliards sont parfois légitimes, parfois frauduleux, souvent dénués de toute colonne vertébrale sociale. » Il n’est pas le premier à le constater, John Kay, parmi d’autres, l’avait déjà observé dans un livre qui fit l’objet d’une recension sur Palingénésie, le 7 décembre 2015, Other People’s Money : Masters of the Universe or Servants of the People ?
Ce qui a changé, par contre, c’est que les politiques monétaires d’assouplissement quantitatif menées par les principales banques centrales (Etats-Unis, Europe, Grande-Bretagne, Japon) ont transformé le paysage financier et considérablement accru le risque systémique de tsunami financier mondial. L’endettement des Etats, c’est à dire leurs obligations vis-à-vis de leurs créanciers publics et privés, s’élève à 63.000 milliards de dollars à travers le monde (dont un tiers pour les Etats-Unis, un tiers à parts égales pour l’Europe et le Japon, un tiers pour 126 autres pays).
Confrontées à la crise financière de 2008, les banques centrales ont pallié les lenteurs des processus de décision des pouvoirs publics et agi dans l’urgence pour éviter l’effondrement du système, mais, ce faisant, elles ont mis le doigt dans un engrenage qui a entraîné la perte de leur indépendance vis-à-vis d’Etats dont elles ont, volens nolens, gorgé leurs bilans d’emprunts et encouragé l’indiscipline budgétaire des gouvernements. Les banques centrales font désormais « partie intégrante du triangle des Bermudes ».
Comment en sortir ? Nous voilà donc repartis pour un sauvetage du système bancaire sur le compte des contribuables ? Prenons le cas de la Banque centrale européenne. La confiance dont elle jouit repose sur son actionnariat, à savoir les 27-28 membres de l’Union européenne. Que se passerait-il si, à la suite d’une crise de liquidité, d’une crise de crédit ou des deux, les banques faisaient l’objet d’appels de fonds et étaient amenées à retirer précipitamment les fonds qu’elles ont déposés auprès de la BCE ?
Comment l’épargne ne serait-elle pas mise à contribution, plus encore qu’elle ne l’est déjà au travers des taux artificiellement bas, voire négatifs ? « C’est, écrit Georges Ugeux, ce biais en faveur des emprunteurs qui constitue le coeur de l’accusation que je partage du comportement non éthique des banques centrales. Expropriation ou taxation déguisée, il s’agit de faire payer les épargnants pour favoriser les emprunteurs, et particulièrement nos Etats gloutons. » Même le FMI (Fond monétaire international) s’en est inquiété, c’est tout dire !
Qu’après que leurs carrières les ont incidemment fait passer par la banque d’affaires Goldman Sachs, des Italiens ont occupé ou occupent des fonctions importantes dans les instances européennes et que le Président Macron se montre aussi « européen » tandis que les dettes publiques de l’Italie et de la France s’élèvent respectivement à 2 300 et à 2 400 milliards d’euros, ne constituent peut-être pas des coïncidences.
Solidarité bien comprise commence par soi-même, laisse entendre Georges Ugeux, qui consacre deux chapitres aux situations de l’Italie et de la France, ces deux pays foncièrement nationalistes, mais en panne de compétitivité et en plein déni de réalité, auxquels la politique d’assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne a offert un répit « inespéré » – sans toutefois avoir atteint les objectifs assignés en termes d’emploi et de croissance économique.
Que pouvons-nous faire à titre personnel ? « Comme individus, assurons-nous que nous sommes en mesure de faire face à une baisse importante de nos actifs et que notre endettement est à taux fixe et sur une longue durée », préconise Georges Ugeux, tant il est bien connu que la macroéconomie, quel que soit le niveau d’érudition ou de pouvoir auquel elle s’exerce, ne s’intéresse guère à ce genre de détail méthodologique. Il vaut mieux y pourvoir soi-même. La Descente aux enfers de la finance vous aide à y réfléchir.
« La Descente aux enfers de la finance », Georges Ugeux, 336 pages, Odile Jacob (mars 2019).
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