Le journaliste allemand Edgar L. Gärtner, qui, dans le magazine (de gauche) Konkret, dénonça, dès les années 1970, les conséquences néfastes du célèbre rapport sur Les limites de la croissance (rendu populaire par le Club de Rome) et à qui l’on doit Öko-Nihilismus : Eine Kritik der Politischen Ökologie (livre qui n’a malheureusement pas été traduit en français mais qui fut amplement évoqué dans Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées – L’Europe sous l’emprise de l’idéologie, disponible sur Amazon.fr), a publié un long article de réflexion (*) sur le site de l’Europäisches Institut für Klima und Energie e.V. (EIKE) à la suite de la parution ce mois-ci de l’exhortation apostolique Dilexi Te du Pape Léon XIV sur l’amour envers les pauvres (**).
Gärtner rappelle d’entrée que le voeu de pauvreté de leur ordre catholique romain n’a pas empêché un dominicain célèbre comme Thomas d’Aquin, puis les Espagnols Domingo de Soto et Juan de Mariana – dont l’économiste Marjorie Grice-Hutchinson (1909-2003) a montré qu’ils ont théorisé les mécanismes du marché libre dès le XVIᵉ siècle – de poser les fondements spirituels du capitalisme sous la forme des droits naturels inhérents à l’individu et que le passage, fût-ce partiel, depuis la fin du XXe siècle, à une forme capitaliste d’économie a permis à des milliards d’habitants de la Terre d’échapper à la famine et au dénuement. L’économie de subsistance pré-capitaliste n’y aurait pas pourvu. Par ailleurs, fait-il remarquer, le capitalisme est un mode économique et non un système fermé. Il reste compatible avec un voeu de pauvreté fondé sur la religion.
La proximité avec les pauvres en héritage
Ce nonobstant, le Pape Léon XIV s’aligne sur les positions de son prédécesseur François. « Ayant reçu en héritage [son] projet [d’Exhortation apostolique sur l’attention de l’Église envers les pauvres intitulée Dilexi te], je suis heureux de le faire mien – ajoutant quelques réflexions – et de le proposer au début de mon Pontificat, partageant ainsi le désir de mon bien-aimé Prédécesseur que tous les chrétiens puissent percevoir le lien fort qui existe entre l’amour du Christ et son appel à nous faire proches des pauvres. »
Plus précisément : « L’engagement concret en faveur des pauvres doit également s’accompagner d’un changement de mentalité susceptible de se répercuter au niveau culturel. En effet, l’illusion d’un bonheur qui découlerait d’une vie aisée pousse nombre de personnes à avoir une vision de l’existence axée sur l’accumulation de richesses et la réussite sociale à tout prix, y compris au détriment des autres et en profitant d’idéaux sociaux et de systèmes politico-économiques injustes qui favorisent les plus forts. »
Et, afin de lever tout doute : « Ainsi, dans un monde où les pauvres sont de plus en plus nombreux, nous assistons paradoxalement à la croissance de certaines élites riches qui vivent dans une bulle de conditions très confortables et luxueuses, presque dans un autre monde par rapport aux gens ordinaires. Cela signifie que persiste encore – parfois bien masquée – une culture qui rejette les autres sans même s’en rendre compte et qui tolère avec indifférence que des millions de personnes meurent de faim ou survivent dans des conditions indignes de l’être humain. Il y a quelques années, la photo d’un enfant gisant sans vie sur une plage de la Méditerranée avait fait grand bruit. Malheureusement, à part une émotion momentanée, de tels événements deviennent de plus en plus insignifiants, relégués au rang d’informations marginales. »
Lutte des classes et théologie de la libération
C’est là, commente Gärtner, reprendre le vocabulaire de la lutte des classes et de la théologie de la libération que le Pape Jean-Paul II avait condamnée (« L’analyse marxiste ne peut être acceptée sans entrer en grave contradiction avec la foi chrétienne », Libertatis Nuntius, 1984), or, poursuit-il, on sait combien cette théologie et sa notion de « justice sociale » se transforment chez les gens simples en envie, un péché mortel selon l’enseignement de l’Eglise catholique, et exposent des personnes performantes à la haine des envieux (cf. la remarquable étude du sociologue austro-allemand Helmut Schoeck (1922-1993) sur L’envie : une histoire du mal – titre original : Der Neid: Eine Theorie der Gesellschaft, 1966).
Certains passages de l’exhortation apostolique donnent à penser que nous en sommes revenus à une sorte de culte du prolétariat et d’inclination à l’ingénierie sociale de fort peu sainte mémoire : « Les structures d’injustice doivent être reconnues et détruites par la force du bien, par un changement de mentalités, mais aussi, avec l’aide des sciences et de la technique, par le développement de politiques efficaces pour la transformation de la société. » A partir de là, il n’y a qu’un pas à franchir pour aborder le thème de la « politique climatique ». Ce pas, Léon XIV l’avait franchi avant même de divulguer son exhortation apostolique.
En effet, le 1er octobre dernier, lors de la conférence « Raising Hope for Climate Justice » à Castel Gandolfo, près de Rome, le pape a béni un bloc de glace vieux d’environ 20 000 ans provenant d’un glacier du Groenland pour marquer le dixième anniversaire de l’encyclique Laudato Si’ du Pape François et rappeler l’urgence climatique ainsi que la responsabilité humaine envers la création. Le pape a posé la main sur la glace et prononcé cette prière : « Seigneur de la vie, bénis cette eau : qu’elle éveille nos cœurs, purifie notre indifférence et renouvelle notre espérance. » Ce geste symbolique était censé insister sur la solidarité écologique mondiale en vue de la COP30 qui aura lieu en novembre au Brésil.
Gärtner reproche à l’Eglise son alignement sur l’« idéologie climatique », globale et technocratique, quasiment religieuse, puisque fondée sur la culpabilité et le sacrifice (réduction des émissions de CO2, décroissance, transition énergétique ruineuse) et il accuse le Vatican d’avoir basculé dans une sorte d’« œcuménisme vert » en contradiction avec la pensée du Pape Benoît XVI, lequel défendait le primat de la raison, de la liberté et de la subsidiarité, un pilier de la doctrine sociale de l’Eglise et principe d’organisation équitable des relations entre les individus, les communautés locales et l’Etat, dérivé de l’encyclique Quadragesimo Anno (1931) du Pape Pie XI et parfaitement compatible avec cet autre principe catholique qu’est la solidarité (en tant que volonté).
(*) Voici le lien vers l’article d’Edgar L. Gärtner : Der neue Papst und die Klimareligion
(**) Voici le lien vers le PDF de l’Exhortation apostolique du Pape Léon XIV : Exhortation apostolique Dilexi Te sur l’amour envers les pauvres
* * *
N’hésitez pas à commenter l’article ou à contacter son auteur à info@palingenesie.com. Aidez Palingénésie à se faire connaître en transférant cet article à vos proches et amis. Ils ont le loisir de s’abonner gratuitement à la lettre d’information en cliquant sur ce lien. Merci d’avance pour votre précieux soutien.
* * *
Abonnez-vous aussi (gratuitement) à Palingénésie Digest, un regard différent, critique, caustique et sarcastique sur l’état et la marche du monde. (Les deux blogs sont gérés de manière indépendante.)
Le dernier article en date publié sur Palingénésie Digest est à lire (et éventuellement à commenter) via le lien ci-dessous :
Analyse d’un malaise bien réel.
* * *
Vous pouvez aussi soutenir ce site en achetant ou en offrant Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées – L’Europe sous l’emprise de l’idéologie qui a été repris par The European Scientist parmi les 15 ouvrages à lire absolument pour ne pas céder à l’éco-anxiété et est disponible, en version papier ou au format kindle, exclusivement sur Amazon.fr en suivant ce lien.
Si vous êtes libraire et souhaitez proposer le livre à vos clients et planifier une causerie sur le sujet, n’hésitez pas à contacter Palingénésie à l’adresse info@palingenesie.com.

L’exhortation apostolique ‘Dilexi te’ devrait rassurer ceux qui craignaient que ce pape américain suive la politique du »dictateur » Trump!