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Liberté d’expression bannie en Europe ?

Liberté d’expression bannie en Europe ? Posted on 31 mai 20251 Comment

« Osez questionner » était le slogan de RT France, la filiale française de la chaîne russe d’info en continu RT, originairement Russia Today, financée par l’État russe. Lancée en 2017, RT France tomba sous le coup de la suspension de diffusion des médias d’Etat russes prise par la Commission européenne en mars 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Dans Bannie, Liberté d’expression sous condition publié chez Fayard en mars 2025, la présidente et directrice de l’info de la chaîne RT France, de son début jusqu’à sa fin, Xenia Fedorova, jeune femme de tête et de poigne née le 26 décembre 1980 à Kazan (Tatarstan), raconte son parcours personnel et sa version des faits.

La vie de celle que Valeurs actuelles qualifia de « cosaque de l’info » en 2017 et Le Monde, de « nouvelle égérie russe du Groupe Bolloré » (auquel appartient Fayard) en mars 2025, ne fut pas qu’un long fleuve tranquille. Elle perdit tôt son père, victime d’un accident, et fut obligée par les circonstances à déménager avec sa mère et le reste de la fratrie en Autriche après la dissolution de l’Union soviétique. Journaliste, elle s’inspira d’Albert Londres qu’elle cite : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »

Paris, entre rêve et cauchemar

A-t-elle aussi pratiqué pour compte de son employeur, l’Etat russe, la désinformation, que Vladimir Volkoff, cité par elle, dit qu’elle n’est « pas un mensonge » mais « un mensonge qui se donne pour la vérité » ? Elle cite Henry Miller (« Paris est une ville de rêves, mais aussi de cauchemars. C’est un endroit où les illusions se brisent et où la réalité est souvent plus dure que ce que l’on imaginait ») et narre qu’après que sa chaîne eut été mise à l’index par le futur président de la République pendant sa campagne électorale elle essaya de s’en rapprocher à l’occasion d’une conférence de presse lorsque tout juste élu en mai 2017 il accueillit Vladimir Poutine en grande pompe au château de Versailles.

S’étant fait accréditer via la délégation russe, elle demanda au chef de l’Etat français s’il y avait un espoir que les relations entre sa chaîne et les services de la présidence française s’améliorent à l’avenir. Pour le dire à la façon de Michel Audiard, qu’elle cite, elle se fit « disperser façon puzzle » : « J’ai toujours eu des relations exemplaires avec les journalistes étrangers, encore faut-il qu’ils soient journalistes », répondit Emmanuel Macron qui précisa : « Quand des organes de presse répandent des contrevérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. » RT et Sputnik, autre média russe, appartenant toutefois au même groupe, furent mis dans le même sac.

A partir de là, Mme Fedorova ne pouvait que se douter que l’avenir de RT était scellé. Quel que soit son sentiment de double standard et de censure à propos de l’asymétrie dans le traitement politique des médias subventionnés étrangers opérant en Europe – BBC World News, CNN International, Al Jazeera (Qatar), CGTN (Chine), TRT World (Turquie) -, l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a fait qu’entériner la rupture. Il est évident que cette disparité de traitement ne repose pas uniquement sur des critères objectifs de qualité journalistique ou de propagande, mais sur un contexte géopolitique, des intérêts stratégiques et l’évaluation implicite de la menace symbolique qu’un média représente.

Le pouvoir, entre légitimité et contrainte

Cet arbitrage pragmatique par le Pouvoir sur qui peut parler, d’où et comment, amène effectivement – Mme Fedorova ne s’en prive pas pour critiquer la France et l’Europe – à analyser les événements à travers la perspective de l’historien, professeur d’université et journaliste Guglielmo Ferrero (1871-1942) dans Pouvoir – Les génies invisibles de la cité, où il explore les dynamiques de légitimité et de peur dans l’exercice du pouvoir. Ferrero soutient que la peur n’est pas seulement ressentie par les gouvernés (référence au Léviathan de Hobbes et à la peur comme moteur de l’obéissance politique), mais aussi par les gouvernants qui, redoutant une perte de leur autorité, peuvent être tentés de contrôler voire d’éliminer les voix dissidentes, a fortiori un média alternatif.

Tout pouvoir, explique Ferrero, s’appuie pour se maintenir sur un équilibre instable de nature psychologique entre autorité légitime et contrainte. N’est légitime qu’un pouvoir reconnu comme juste et acceptable par ceux qui y sont soumis. Dès qu’il n’est plus reconnu comme tel, il bascule dans une logique de domination par la peur et ceux qui y sont soumis n’obéissent plus parce qu’ils en reconnaissent l’autorité, mais parce qu’ils craignent la violence (les sanctions ou la chienlit). Plus un régime est fondé sur la force brute, fait observer Ferrero, plus les gouvernants ont peur car leur pouvoir est fragile. La spirale de la peur aboutit à la paranoïa contre tout ce qui pourrait remettre leur position en cause et à la répression, l’autoritarisme et la tyrannie.

La légitimité ne se décrète pas, elle est l’un des ces « génies invisibles » dont parle Ferrero dans son traité sur le Pouvoir, l’un de ces principes intangibles qui sous-tendent l’autorité et l’ordre et qui ne se confond pas avec la « légalité », encore moins avec la force. Sans ce substrat éthique, l’exercice du pouvoir subit la tension constante entre la peur de désobéir et la peur de commander, tension qui surgit surtout en période de crise ou de transition, car la légitimité conditionne la stabilité politique et, à défaut de légitimité et de stabilité, s’instaure un régime de méfiance réciproque.

La France et l’Europe sont-elles « en train de mourir sans le savoir… ou peut-être plutôt sans vouloir le savoir », pour paraphraser Boualem Sansal, cité par Mme Fedorova ? La France va mal, dit-elle, parce que ses dirigeants refusent de voir la réalité en face et projettent de brider la liberté de presse afin d’empêcher celle-ci de faire son travail de vérité. De fait, l’Union européenne ne va pas mieux. Dans son discours à la tribune du Copenhagen Democracy Summit de 2024, Mme von der Leyen, la présidente de la Commission européenne n’a-t-elle pas préconisé que l’on vaccine en quelque sorte les gens contre les fake news et enjoint aux plates-formes de communautés en ligne de pratiquer le shadow banning (le bannissement furtif) ? Resterait à Mme Fedorova à faire le bilan de ce qu’il en est de « la liberté d’être pour, de peur d’être contre » (Victor Hugo) en Russie aujourd’hui. Osons questionner.

Bannie, Liberté d’expression sous condition, Xenia Fedorova, 306 pages, Fayard.

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1 commentaire

  1. Beaucoup de menaces pèsent sur l’Europe de l’Ouest, avec, vraisemblablement, une mention spéciale pour les pays baltes (Lituanie – Estonie). L’heure des condamnations fermes verbales est totalement révolue puisqu’absolument inutiles. L’Europe occidentale doit, comme l’OTAN, regarder toutes les menaces en face. Et agir, vite.

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