Posted in Economie Monde

Offshore : Paradis ou enfer ?

Offshore : Paradis ou enfer ? Posted on 20 avril 20241 Comment

Ce livre n’est pas une lecture de vacances. Les paradis dont il est question s’écartent un peu trop des chemins battus ou plongent carrément en terrain inconnu. Leur attrait touristique n’est pas la qualité première que les personnages du livre du juge Renaud Van Ruymbeke, Offshore, recherchent et ils n’y ont, souvent, jamais mis les pieds. C’est bien le problème. Il y a un autre motif à ne pas emporter ce livre en vacances. S’il fait parcourir le monde, c’est pour en décrire la noirceur et les turpitudes, dans ses hauts-fonds et ses bas-fonds.

Embarquons-nous, non pour Cythère mais pour l’enfer, en eaux troubles, à bord du Shéhérazade, un yacht de super-luxe de 140 mètres d’une valeur estimée à 640 millions d’euros, dont le nom provient du persan Čihrzād et signifie « née d’une lignée pure, bien née », le nom d’un personnage de fiction, celui de la conteuse du livre Les Mille et Une Nuits. On peut ne plus être fréquentable, mais poète à ses heures, et disposer de deux pistes d’hélicoptère en plus de quelques autres agréments en pleine mer. Le New York Times croit savoir que les membres de l’équipage (dont plusieurs feraient partie du FSO, le service fédéral de protection des hauts dignitaires russes) en parlent comme du « navire de Poutine ». Il est toutefois difficile de savoir pour sûr si M. Poutine en est le véritable propriétaire. Le yacht est immatriculé aux îles Caïmans et appartient à une société enregistrée aux îles Marshall, en Micronésie.

Etats confettis

« Deux Etats confettis, précise Van Ruymbeke à qui l’ignorerait, spécialisés dans le blanchiment de l’argent sale. » Qui plus est, ces deux territoires relèvent de la sphère anglo-saxonne. Or, Etats-Unis et Grande-Bretagne, qui ont ordonné le gel des biens du président russe, sont incapables d’identifier le propriétaire de ce yacht pourtant enregistré dans leur zone d’influence. Aux dernières nouvelles, on en serait toujours au même point alors que le yacht a été saisi par les autorités italiennes dans le cadre des sanctions consécutives à l’invasion de l’Ukraine et est remis à neuf dans un port italien. Le cas du Shéhérazade sert d’exemple de la difficulté de pénétrer dans l’univers des sociétés-écrans, des hommes de paille et des officines spécialisées dans ce qu’il est convenu d’appeler l’offshore.

Si un yacht dont l’usage annuel coûterait quelques dizaines de millions d’euros et la maintenance en cours de même n’est pas une bagatelle, cela n’en reste pas moins l’arbre qui cache la forêt, laquelle est peuplée de dictateurs, d’oligarques, de trafiquants et de nombre d’autres criminels au long cours qui visent à entourer leurs affaires d’une certaine discrétion. L’économiste Gabriel Zuchman évalue les avoirs dissimulés offshore à 8700 milliards de dollars. Relevons tout de même que dans son Rapport sur la dette mondiale 2024, l’OCDE évalue le montant de la dette souveraine des Etats et des obligations d’entreprise à près de 100 000 milliards USD, environ autant que le PIB mondial. Si 8700 milliards de dollars ne sont pas peanuts, ils ne suffiraient toutefois pas à rembourser la dette des Etats.

Evasion et optimisation fiscale

Un autre aspect de la même problématique, encore qu’il n’ait pas le caractère criminel à proprement parler des affaires auxquelles il est fait allusion plus haut (détournements d’argent public en faveur de personnes privées, argent de la corruption, de la drogue, etc.), réside dans les pratiques d’évasion ou d’optimisation fiscale qui consistent, par exemple pour de grandes multinationales, à détourner à leur propre profit et en toute légalité apparente les bénéfices de leurs filiales situées dans des pays à forte fiscalité vers des structures disons plus légères commodément situées dans des pays à faible fiscalité. La frontière est parfois ténue entre évasion et fraude – ainsi qu’entre lobbying et trafic d’influence – et les enjeux sont considérables.

Ce n’est évidemment pas le menu fretin des PME, du commerce local et des indépendants qui est concerné, ni M. Tout-le-monde qui peut se faire nommer ambassadeur d’une île exotique (dont coût, 100.000 à 500.000 dollars) pour échapper aux poursuites judiciaires s’il n’a pas fait allégeance à l’autorité publique et dûment payé son écot à l’impôt. Et pourtant, c’est bien la multitude qui est soumise à la transparence totale et au fatras administratif qui l’accompagne, tandis que les fauteurs d’actes les plus reprochables, l’ancien juge d’instruction spécialisé dans les affaires politico-financières en convient, bénéficient souvent sinon de l’immunité, du moins de l’impunité. Il ne se peut que ce ne soit que la fiscalité qui en soit la seule raison.

Offshore, Renaud Van Ruymbeke, 272 p, Les Liens qui Libèrent.

* * *

Aidez Palingénésie à accroître sa notoriété en transférant cet article à vos proches et à vos amis et en les invitant à s’inscrire sur palingenesie.com via le lien suivant : s’inscrire. Merci d’avance pour votre précieux soutien.

Si vous ne l’êtes pas encore, inscrivez-vous – c’est gratuit ! Vous recevrez un e-mail à l’adresse que vous aurez indiquée vous priant de confirmer votre inscription, ceci de manière à éviter qu’un tiers ne vous inscrive à votre insu. Une fois l’inscription confirmée, vous recevrez, en principe chaque semaine, un article, souvent la recension d’un ouvrage qui apporte une vision du monde originale, différente de ce que l’on lit et entend par ailleurs.

En cas de souci quelconque, veuillez envoyer un e-mail à : info@palingenesie.com.

* * *

Lisez ou offrez l’essai On vous trompe énormément : L’écologie politique est une mystification que Palingénésie a publié en avril 2020, en le commandant en version papier ou au format kindle sur Amazon.fr en suivant ce lien.

Vous le trouverez dans quelques librairies (voir la liste en suivant ce lien). Si vous êtes libraire et souhaitez proposer le livre à vos clients, n’hésitez pas à contacter Palingénésie à l’adresse info@palingenesie.com.

Palingénésie dispose d’un petit stock d’exemplaires. Il vous est possible de commander le livre en direct en envoyant un mail à l’adresse de contact de cette newsletter.

* * *

(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4136 du vendredi 19 avril 2024.)

Share and Enjoy !

Shares

Soyez averti de nos prochains articles

1 comment

  1. Tout cela avec, dans une grande majorité de cas, la complicité, la naïveté et l’aveuglement des pouvoirs en place. Le nombre des enquêteurs judiciaires chargés de poursuivre les coupables et de régler ces dossiers très complexes est réduit à la portion congrue. Il en faudrait… vingt fois plus !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Shares