Posted in À la une Europe Monde Philosophie

Qu’est-ce que l’idéologie ?

Qu’est-ce que l’idéologie ? Posted on 1 février 20252 Commentaires

D’après le dictionnaire de l’Académie française, l’idéologie se définit chronologiquement d’abord comme la science des idées, puis comme un ensemble de représentations, une vision du monde (selon Marx, un ensemble de valeurs et de normes propres à une classe sociale, qui servent ses intérêts particuliers), enfin comme un système d’idées sur lequel se fonde une action politique.

L’ethnologue et historien français Jean Servier (1918-2000), qui fut professeur d’ethnologie et de sociologie à la faculté des lettres et sciences humaines de Montpellier, évoque, dans sa monographie sur L’idéologie parue en 1982 dans la collection Que Sais-Je ? aux Presses Universitaires de France, la conception de Marx (et de Feuerbach) en tant qu’« imposture d’une classe sociale assurant sa domination sur une autre par un ensemble de croyances erronées et de préjugés ». Mais, Servier retient pour ses travaux la notion que son confrère Marcel Griaule (1898-1956) en avait, de « système du monde », c.-à-d. de conception du monde et de la place de l’homme dans le monde.

L’homme tourné vers l’Invisible

Servier fait toutefois voir que les différences entre ces définitions sont finalement ténues. Il avance le fait qu’une « même anatomie psychique se retrouve d’un bout à l’autre de l’humanité » et affirme que « l’idée d’un Dieu unique, éternel incréé, maître de la vie, origine et terme de l’aventure humaine est présente dans toutes les civilisations » aussi loin que l’on remonte ou que l’on aille sans que l’on puisse en retrouver un point de départ ou une quelconque « ébauche ». Il insiste sur le fait que l’étude des civilisations, d’un bout à l’autre de l’espace et du temps montre, l’homme tourné vers l’Invisible. « Ce ne sont pas les cathédrales qui ont créé le Christ et l’expliquent, écrit-il, elles l’ont manifesté selon le schéma que les bâtisseurs portaient en eux, vecteurs de l’idéal d’une société à un moment de son histoire. »

Nous nous croyons uniques, nous ne le sommes pas ; le résultat d’une longue évolution, ce n’est pas le cas. Pourtant, l’Occident est différent des autres civilisations qui l’entourent et l’ont précédé. Il eût pu être lui aussi « un lac aux eaux transparentes reflétant l’immobilité d’un éternel présent » plutôt qu’« un flot continu coulant vers une mystérieuse embouchure ». Or, nous ne nous interrogeons pas, expose Servier dans son ouvrage, sur ce qui nous vaut ce privilège d’avoir rejeté les autres modes de pensée. La notion de Progrès, par exemple, telle que nous la concevons, est étrangère à toute autre civilisation. Les civilisations traditionnelles, en particulier, s’inscrivaient dans la notion de l’éternel retour, délivrant du coup l’individu de toute angoisse eschatologique.

Cependant, un phénomène apparaît partout et toujours, variant peu d’une civilisation et d’un millénaire à l’autre, une idéologie que Servier appelle l’« humanisme bourgeois ». L’Occident n’a pas inventé le matérialisme. Quand le vide s’insinue dans les esprits et l’angoisse dans les coeurs et une forme de rationalisme remplace les croyances, un monde imaginaire fait irruption et un besoin de richesses matérielles se fait ressentir, lequel vise à substituer le présent à un futur incertain. Le Psalmiste avait averti : « Leurs idoles sont de l’argent et de l’or. Elles sont l’ouvrage de la main des hommes. Ils leur ressemblent ceux qui les fabriquent. » (Psaume 115, 4-8)

Après le règne des idoles, retour à l’âge d’or

Toutes les sociétés bourgeoises de tous les temps, observe Servier, correspondent à l’émergence d’« une classe d’hommes ancrés dans le présent, acceptant l’avenir à condition qu’il soit planifié, débarrassé de toute angoisse avec, cependant, dans ce même souci, une attirance nostalgique pour le passé ». C’est, selon lui, la marque de toute Renaissance, tout Siècle d’Or, tout siècle des Lumières, s’élevant des ruines des civilisations traditionnelles, avec des valeurs nouvelles en guise d’ersatz de celles qui avaient été intériorisées auparavant. La rationalisation se substitue au mythe originel pour recréer un monde certes hypothétique, mais affirmé comme certain, et donner un sens nouveau au côté absurde de l’existence. C’est la mission que s’assigne Platon avec son concept de cité-aux-lois-justes, oeuvre de la pensée élitaire des Princes-philosophes, une cité, notons-le, d’où est banni le libre arbitre.

C’est là que se situent les fondements de la servitude volontaire théorisée par La Boétie au XVIe siècle et de tous les régimes totalitaires et le lien entre les différentes acceptions du mot idéologie, histoire des idées, vision du monde et système de coercition politique. Le « bourgeois » dans toute sa splendeur et sa pesanteur en est tout à la fois le principe et le parasite. Le XVIIIe siècle, expose Servier, ne croyait pas au progrès (prométhéen) tel que nous le concevons, mais à une « révolution cosmique » en tant que régénérescence de l’être humain et retour à un âge d’or, dût-elle recourir à la terreur, comme le préconisait Gracchus Babeuf dans sa Doctrine des Egaux, pour « soutenir l’enthousiasme populaire » et « imposer au peuple jugé par ailleurs « trop écarté de l’ordre naturel pour exercer un choix lucide », un gouvernement. »

« La Révolution est comme Saturne, dit Pierre Victurnien Vergniaud, qui fut un grand orateur de la Révolution française, creuset de toutes les révolutions qui l’ont suivie, et qui mourut guillotiné à Paris le 31 octobre 1793 à l’âge de 40 ans : elle dévore ses propres enfants. »

* * *

Il est question d’idéologie et, en particulier, de celle sous l’emprise de laquelle se trouve l’Europe dans Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées – L’Europe sous l’emprise de l’idéologie qui vient de paraître et est disponible en version papier ou au format kindle en principe exclusivement sur Amazon.fr en suivant ce lien. (Livraison gratuite en Belgique et, sous condition, en France.) Achetez-le et offrez-le.

* * *

Aidez Palingénésie à se faire connaître en transférant cet article à vos proches et amis. Merci d’avance pour votre précieux soutien.

En cas de souci quelconque, veuillez envoyer un e-mail à : info@palingenesie.com.

Share and Enjoy !

Shares

Soyez averti de nos prochains articles

2 commentaires

  1. MERCI pour ce texte intéressant et vrai!
    Je retiens principalement: « donner un sens nouveau au côté absurde de l’existence ».

  2. De mon point de vue l’idéologie est une création proprement occidentale. Historiquement, à partir du XIXe siècle, l’idéologie a pris la place qu’occupait autrefois la métaphysique.
    L’idéologie est un ensemble d’idées qui veulent faire système sur base rationnelle.
    L’erreur c’est évidemment le système qui ramène la multiplicité du réel à l’unité rêvée de la pensée.
    C’est par là que l’idéologie retourne à la métaphysique…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Shares