Ce plaidoyer collectif publié en 2020 sous la direction de David Engels pour un renouveau du projet européen fait en quelque sorte suite logique à son essai et gros succès de librairie Le Déclin, publié en 2013 et décrivant les analogies entre la crise de l’Union européenne d’aujourd’hui et la chute de la République romaine au Ier siècle avant notre ère.
On peut se montrer critique à l’égard de « l’Europe », comme ils disent, et n’en pas rejeter l’idée pour autant. All that is gold does not glitter, Not all those who wander are lost, comme l’écrivit l’écrivain et poète J.R.R. Tolkien (The Hobbit, The Lord of the Rings), s’inspirant de Shakespeare dans The Merchant of Venice.
Renovatio Europae est le résultat d’une recherche effectuée au sein de l’Instytut Zachodni (en français : l’Institut occidental) à Poznań en vue d’une nécessaire réforme de l’Union européenne sur base de nouvelles idées unificatrices, se prévalant de sa culture de dialogue et de contradiction, pour contrer les dangers réels auxquels elle est exposée dans sa mission d’assurer la prospérité et la paix.
L’UE, fait observer David Engels, s’est unifiée à partir de valeurs non seulement universalistes, mais aussi conservatrices, et il en appelle à une vision d’une Europe « hespérialiste » (terme dérivé de la désignation grecque de l’extrême Occident du monde d’antan) en complément de – voire, en opposition à – la vision « européiste » qui exprime un soutien indéfectible à l’Europe et à l’idéologie dominante de ce que sa Commission, son Parlement, son Conseil et sa Cour de justice considèrent comme politiquement correct.
Le défi pour les conservateurs est de s’en affranchir et de se trouver un langage et des catégories de pensée qui leur soient propres. Si la Pologne et la Hongrie sont des exemples de pays dans lesquels l’universalisme est tempéré par l’amour de la patrie, il ne fait aucun doute aux yeux de David Engels que la civilisation occidentale ne survivra que si l’Occident tout entier fait front (les bruits de bottes à proximité de l’Ukraine et de Taiwan pourraient en constituer un cuisant rappel).
Quant à l’Europe, déjà Paul Valéry, cité par David Engels, en avait défini dans son essai L’Européen l’identité historique en ces termes : « Partout où les noms de César, de Gaius, de Trajan et de Virgile, partout où les noms d’Aristote, de Platon et d’Euclide ont eu une signification et une autorité simultanées, là est l’Europe. Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne. »
Passé gréco-romain et judéo-chrétien
« L’Europe ne pourra avoir un futur que si elle se souvient de ses racines historiques et de son passé gréco-romain et judéo-chrétien », embraie David Engels qui met en avant les valeurs intemporelles de la famille, d’une économie socialement responsable, d’un dépassement de l’individualisme et du collectivisme, d’un respect du droit naturel et des communautés locales, régionales et nationales.
Feignant de s’étonner de la confusion de termes dans la novlangue officielle entre l’Europe et l’UE, le sociologue Zdzisław Krasnodębski, membre et ancien vice-président du Parlement européen, professeur d’université à Varsovie, Cassel et actuellement Brême, ironise sur le « danger » auquel se référait le Président français dans une tribune publiée en 2019 et intitulée « Pour une renaissance européenne ».
Jamais « l’Europe » n’aurait été aussi nécessaire, jamais n’aurait-elle été autant en danger. S’agissait-il de prendre conscience des risques d’une nouvelle guerre froide, ou de soutenir le projet de retour aux sources qui fait l’objet de Renovatio Europae ? Que nenni, il s’agissait de « la crise » dont le Brexit constituait un symptôme. « L’Europe » était menacée dans son rôle d’avant-garde du progrès, dans sa vocation messianique de guider le monde à travers les arcanes du politiquement correct et du principe de précaution.
Zdzisław Krasnodębski pointe, en ce qui touche les citoyens de l’UE, le constructivisme européen à l’oeuvre dans la sphère sociale (en porte-à-faux avec la volonté affichée par ailleurs de protéger la nature coûte que coûte) et lui vient à l’esprit à ce sujet la boutade de Massimo d’Azeglio, « Abbiamo fatto l’Italia, ora dobbiamo fare gli Italiani. » L’UE est un fait, reste encore à faire les Européens.
Nomades et « Déplorables »
Ces derniers se montrent de plus en plus perplexes et, dans le débat public, se pose avec acuité la question cui bono. A qui ça profite-t-il ? La réponse, le sociologue polonais et britannique Zygmunt Baumann l’avait fournie en 2000 dans son essai Liquid modernity : « In the fluid stage of modernity, the settled majority is ruled by the nomadic and exterritorial elite. »
« Pour comprendre ce qu’il voulait dire, écrit Zdzisław Krasnodębski, il suffit d’analyser les CV des bureaucrates et des décideurs qui travaillent aujourd’hui pour l’UE, demain pour le FMI et après-demain pour l’ONU, et qui se voient régulièrement à Davos ou aux réunions du club Bilderberg. »
La Commission, ajoute ce membre du sérail européen, a développé une culture politique en rupture avec tout substrat culturel. « En fait, écrit-il, ils traitent l’UE comme une sorte de propriété privée » qu’il y a lieu de préserver de toute critique. Sa fonction de vice-président du Parlement européen était d’ailleurs perçue par ses pairs comme une contradictio in adiecto, presque une incongruité.
Font face à cette classe dominante nomadisée, ceux que Hillary Clinton stigmatisa comme étant des « déplorables », « the’re racist, sexist, homophobic, xenophobic – Islamophobic – you name it », qu’il revient à l’élite gouvernante, balayant les Etats-nations jugés responsables de tous nos maux et se basant sur un droit positif, de convertir de gré ou de force aux bienfaits du politiquement correct, les incivilisés fussent-ils tout simplement attachés à leur histoire et à leurs traditions, à leurs racines.
Selon András Lánczi, le recteur de l’Université Corvinus à Budapest où il enseigne la politologie et l’un des principaux idéologues du gouvernement hongrois, la crise de l’Union européenne résiderait dans son refus d’un fondement transcendant nécessaire à asseoir son pouvoir politique et un manque d’intérêt pour la recherche du sens de la vie humaine.
Mais, n’est-ce pas précisément la vocation du Pacte vert pour l’Europe de constituer une nouvelle métaphore, écologiste et ultra-progressiste, destinée à fonder le pouvoir de la Commission et des autres organes de l’UE et à déterminer la perspective humaine, fût-elle tragique, qu’ils incarnent ?
Renovatio Europae, ouvrage collectif sous la direction de David Engels, 246 pages, Editions du Cerf.
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(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4011 du mercredi 24 novembre 2021.)