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La grande révolte des classes moyennes occidentales

La grande révolte des classes moyennes occidentales Posted on 16 décembre 20162 Commentaires

Le 8 novembre 2016 est une date historique. Elle marque l’accession prochaine à la présidence des Etats-Unis d’un homme, Donald J. Trump, qui, après le Brexit, incarne le surgissement sur la scène politique et culturelle occidentale d’une force nouvelle : les classes moyennes.

Ne sont-ce pas les classes moyennes qui, par définition, dominent la scène politique depuis les Trente Glorieuses ? Certes, mais la spécificité de la situation actuelle est que ces « gens ordinaires » dont parle le sociologue canadien Mathieu Bock-Côté se comportent désormais de façon politiquement cohérente. Avec une solidarité, une conscience de classe, comme disent les marxistes. Bref, elles votent en masse et en tant que telles.

« La démocratie est lente », constatait le communiste espagnol Denis Fernandez Recatala. De la survenance d’un problème à sa résolution par le mode démocratique — appropriation de la problématique par un parti, accession de ce parti au pouvoir, mise en œuvre d’une politique — s’écoulent souvent de longues années. Particulièrement lorsque le diagnostic est lui-même disputé.

Toutefois, certaines réalités économiques et culturelles sont devenues si prégnantes qu’elles ne peuvent plus être niées. Je soutiens que la révolte des classes moyennes occidentales est le fruit de la détérioration de ses conditions d’existence, dont les motifs sont similaires des deux côtés de l’Atlantique.

Taxation objectivement confiscatoire

La taxation, dans nos pays, est objectivement confiscatoire. Depuis 1945, la part de la richesse prélevée par l’Etat n’a jamais été aussi copieuse. Même s’ils ignorent l’aphorisme de Frédéric Bastiat selon lequel « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde », les citoyens « sentent » que le système tourne à leurs dépens. Que l’Etat, pour octroyer telle prime, tel encouragement ou service, perçoit un impôt plus lourd que ne le serait le prix du service sans son intervention, car il doit rémunérer une pléthore d’agents, de partenaires et de clientèles. Cette réalité est d’autant moins tolérée qu’elle s’inscrit dans le contexte d’un « capitalisme de connivence » qui compense, avec l’argent des contribuables, et à coup de dizaines de milliards, les pertes abyssales d’un secteur financier dont les bénéfices sont privés.

Ayant payé son écot — de 50 à 65% de ses revenus, dans la plupart de nos pays — le citoyen dispose d’un capital résiduel. Ce capital, en principe il en use à sa guise, car nos régimes restent fondés sur le principe de l’autonomie de la volonté. Mais seulement en théorie. Car, à chaque instant le citoyen doit louvoyer et se glisser sous les clôtures électrifiées de normes toujours plus nombreuses. La gauche culturelle a longtemps soutenu, jusqu’à nos jours, que nous évoluons dans un univers capitaliste « dérégulé », dont la généalogie remonterait aux règnes de M. Reagan et de Mme Thatcher. Rien n’est plus faux. Si l’on regarde les chiffres de la production législative et réglementaire — disons normative — dans les pays européens et aux Etats-Unis, le vrai est qu’aucun individu dans l’histoire de l’humanité ne s’est trouvé aussi étroitement sanglé de normes. Ce n’est pas le lieu de produire des chiffres — je le ferai dans une étude comparative et historique à paraître — contentons-nous de relever que la France, par exemple, produit désormais autant de normes chaque année que durant la période qui s’étend du 13e siècle de Saint-Louis à la révolution de 1789. À ce formidable magma normatif en croissance exponentielle, vient encore s’agglutiner l’épaisse gangue des régulations que sécrètent les institutions européennes. Outre son caractère anti-économique, cette prolifération normative contraint, force et entrave les citoyens jusque dans les détails infimes et intimes de leur vie quotidienne.

Dégradation urbaine et scolaire

La fiscalité et l’hyperinflation normative s’aggravent de la dégradation urbaine et scolaire. L’immigration massive ayant été érigée en dogme moral et en nécessité économique, les classes moyennes d’Europe et des Etats-Unis ont vu surgir au sein de leurs villes, de leurs quartiers et de leurs écoles, parfois jusqu’à les dominer, des populations dont la culture est certes respectable mais, dans le cas de l’islam, radicalement distincte de la leur, dans son rapport aux femmes, à la liberté de conscience, à la démocratie. Cette immigration, dans la réalité des faits, n’est pas choisie, mais subie. Quand, après trente années de ce régime migratoire, les mêmes « gens ordinaires » constatent que des candidats à la migration se pressent toujours plus nombreux à leurs frontières, ils se posent légitimement la question de la perpétuation de leur mode de vie. Comment s’étonner que le dogme de l’immigration anarchique soit rejeté ? Cela indépendamment de la question du terrorisme (alors qu’il est par exemple établi que dix des douze auteurs des effroyables attentats de Paris, le 13 novembre 2015, se sont inflitrés en Europe comme migrants, cfr. Le Figaro, 12 novembre 2016).

Pour compléter le tableau, relevons la guerre culturelle qui est menée aux classes moyennes, sur la seule foi du sexe et de la couleur de la peau. Examinons les deux aspects de ce Kulturkampf.

D’abord, la théorie du genre, selon laquelle la distinction des sexes masculin et féminin est une invention culturelle (Judith Butler, Anne Fausto-Sterling). Au nom de cette théorie, dans l’infini chatoiement de ses variétés académiques et médiatiques, des minorités sexuelles en sont venues à exiger l’éradication de toute référence à l’hétérosexualité, vécue comme oppressive et stigmatisante. La revendication est de brouiller les genres, en les multipliant à l’infini, et de quitter toute référence à la « normalité » hétérosexuelle — pourtant incontestable, d’un simple point de vue statistique. D’où ces polémiques, souvent émaillées de violences, aux quatre coins du territoire américain, désormais en Europe, pour décider de la question de savoir si les « queer » et transgenres peuvent, ou pas, accéder aux vestiaires sportifs, scolaires et toilettes de leur sexe biologique, ou de leur sexe choisi, ou les deux, et comment vérifier ? Se fédère à ces polémiques l’hostilité de principe témoignée au garçon hétérosexuel, que l’on institue en dépositaire de la sexualité « du passé », ce qui justifie qu’il soit rééduqué dès la plus tendre enfance — à l’école —, discriminé lors de son entrée éventuelle à l’université, et que le moindre de ses gestes et paroles soit justiciable des tribunaux. Cette guerre du genre est menée avec autant d’âpreté que d’efficacité : la grande majorité des diplômés de l’enseignement supérieur américain et européen sont des femmes, et la réalité biologique de la binarité sexuelle est battue en brèche jusqu’au cœur de nos textes de loi (Convention d’Istanbul, Conseil de l’Europe, 2011).

Racisme, vous avez dit racisme ?

Vient enfin la résurgence du racisme. D’abord, il y eut le discours anti-raciste, réprouvant le rejet d’une personne sur la seule foi de sa race. L’écrasante majorité des Occidentaux ont acquiescé à ce discours. Toutefois une rhétorique subtile s’est enclenchée, particulièrement dans des pays comme les Etats-Unis et la France, jusqu’à permettre, puis encourager, la mise en accusation des populations blanches. Ainsi des « safe spaces » se sont-ils multipliés sur les campus américains, c’est-à-dire des espaces réservés aux minorités, pour leur permettre de se soustraire à la présence réputée suffocante des Américains « caucasiens ». Dit autrement, les étudiants blancs se voient refuser l’accès de certaines zones du campus sur la seule foi de la couleur de leur peau. Paradoxal retournement d’un discours anti-raciste qui en vient à légitimer, souvent par la violence, des pratiques racialistes au sens strict. Ainsi du discours sur le « white privilege », soit l’idée qu’un Américain blanc est privilégié du seul fait de la couleur de sa peau, quels que soient ses origines et milieu social, et que la loi doit donc discriminer en sa défaveur, toujours sur la seule foi de la couleur de sa peau. Considérons ce répertoire de journalistes récemment créé sous l’égide du gouvernement francophone belge, dont l’objet est d’inclure d’une part les femmes, d’autre part les « hommes et femmes issus de la diversité », ce qui exclut qui ? Les hommes blancs, sur la seule foi de la couleur de leur peau. Racisme, vous avez dit racisme ? Qui ne voit que ces discours et pratiques reposent sur les notions de responsabilité raciale collective, et de responsabilité à travers les âges, soit très exactement les concepts qui ont, de tout temps, fondé l’antisémitisme, comme Sartre l’a montré dans ses Réflexions sur la question juive ? Ce racisme au nom de l’anti-racisme, les classes moyennes occidentales ne l’acceptent plus.

Il est à noter que cette guerre sexuelle et racialiste menace les gens ordinaires, non seulement dans leurs conditions d’existence (les trois premiers phénomènes que nous avons examinés : impôt, normes, quartiers), mais dans leur être naturel (le sexe, la couleur de la peau). Qu’un rejet radical — une révolution, selon Stephen Bannon, éminence grise du nouveau président américain —  se dessine n’est guère surprenant.

Tels sont les facteurs dont la conjugaison explique, selon moi, à la fois la détérioration des conditions de vie des classes moyennes occidentales, et leur révolte politique.

* * *

L’auteur de cet article, Drieu Godefridi, est juriste et Docteur en philosophie (Paris IV-Sorbonne). Il a notamment contribué par un chapitre sur « La Violence de genre et la Négation du droit » à l’ouvrage collectif publié par Texquis sous la direction de Henri Lepage : Libéralisme et liberté d’expression qui a fait l’objet d’une recension sur Palingenesie.com.

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2 commentaires

  1. Merci monsieur. J’ai découvert votre article sur un site libéral de gauche (Contrepoints). Je souhaitais vous dire à quel point lire un article aussi pertinent que le vôtre est intellectuellement stimulant.

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