Florent Laguens est licencié en physique et docteur en philosophie, enseignant-chercheur à l’IPC-Facultés libres (Paris) et au Collège des Bernardins. Il s’est spécialisé dans les questions d’histoire et de philosophie des sciences. Dans Science et foi, il vise non pas à faire œuvre d’apologète – à démontrer les fondements rationnels de la foi (chrétienne, en l’occurrence) – mais bien à remettre en cause l’idée reçue selon laquelle science et foi seraient incompatibles, et ce dans trois domaines de tension évidente, l’héliocentrisme, l’évolution et le Big Bang, et il s’attache à verser au dossier des pièces de première main. (Il serait intéressant que l’on procède au même type d’étude dans d’autres contextes religieux, mais cela sort du cadre du présent sujet.)
Disons-le de suite, que vous soyez croyant ou non, cet ouvrage ambitieux est de qualité et s’adresse à tout qui s’intéresse à l’homme, à la religion (rappelez-vous ce qu’en disait Durkheim), à la science (en particulier, expérimentale) et à leurs rôles respectifs dans la société, le monde et le progrès. En ce qui concerne la position de l’Église catholique vis-à-vis du monde scientifique au fil du temps, Laguens parle d’un clair-obscur, « ni tout à fait obscur, ni tout à fait lumineux », et pour ce qui est de son travail d’historien, il admet son côté nécessairement partiel du fait du matériau à disposition et partial du fait de son interprétation, mais il insiste sur sa volonté première de faire voir et de faire lire afin d’éviter de tomber dans le prêt-à-penser, noble mission dans laquelle il réussit avec brio.
L’ouvrage parcourt le XVIIe siècle avec Galilée, Descartes et un premier prêtre, Pierre Gassendi, après une mise en contexte détaillée car, comme l’écrit Laguens, cette époque nous est largement étrangère. Il se transporte ensuite au XIXe siècle avec Darwin et fait une incursion dans le suivant à la rencontre d’un autre prêtre, Pierre Teilhard de Chardin. Il aborde, enfin, dans sa troisième partie, le thème de la genèse de l’univers avec Einstein et la figure de l’abbé Georges Lemaître dans lequel il voit un modèle d’harmonie entre la science et la foi.
Les vexations de l’homme
Dans ses Leçons d’introduction à la psychanalyse (1916), Sigmund Freud, cité par Laguens, avance que l’humanité avait déjà subi deux grandes vexations, la première, que la Terre n’était pas le centre de l’univers, la deuxième, que l’homme descendait du règne animal, avant que lui-même, Freud, ne lui en inflige une troisième, qu’il y a en l’homme une partie cachée (et avant que René Girard s’en attribue une quatrième avec sa théorie « post-freudienne » du mimétisme et du bouc émissaire.)
En amont de la Modernité, fait remarquer Laguens, il y a « mille ans d’histoire du Moyen Âge, comme si saint Thomas d’Aquin avait pu croiser saint Augustin », alors que huit siècles les séparent, et avant cela encore on plonge dans l’Antiquité, avec, au départ, Aristote et Platon, qui ont promu l’idée d’une totalité (le « cosmos ») organisée par une intelligence supérieure. C’est parce qu’il est censé mettre à mal les Saintes Ecritures, les saints pères, saint Thomas et la philosophie d’Aristote (sur laquelle s’appuie la théologie scolastique) que Galilée fait l’objet d’une plainte en bonne et due forme de la part de ses contemporains. Ce sera finalement Jean-Paul II qui, en 1979, appellera l’Académie pontificale des Sciences à réévaluer le cas Galilée, emblématique de la tension entre foi et science, « dans une reconnaissance loyale des torts de quelque côté qu’ils viennent ».
Deux figures d’Eglise extraordinaires
Deux siècles plus tard, ce sont Darwin et sa théorie de l’évolution qui posent la question « Science et christianisme sont-ils compatibles ? ». Laguens y répond en quatre chapitres, le premier consacré au « procès » de Darwin, les deux suivants à l’analyse de sa pensée à partir d’une lecture attentive de ses deux ouvrages fondateurs, L’Origine des espèces et La Filiation de l’homme (livre longtemps ignoré ; il en conclut avec Thomas d’Aquin qu’une théorie évolutionniste n’est pas nécessairement antichrétienne), et le quatrième à une évocation de la figure extraordinaire de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Pour le dire avec les mots de l’auteur, la biologie et l’évolution irriguent la pensée de cet homme d’Eglise dont la bravoure sous le feu ennemi pendant la « Grande Guerre » lui valut de recevoir la Légion d’honneur mais, surtout, de subir un « baptême dans le réel », d’être « un homme brûlé, à la fois de l’amour de Dieu et de l’amour du monde », et finalement d’être exilé sur décision de son Ordre et interdit de publication jusqu’à sa mort, car ses « intuitions fulgurantes » l’étaient décidément trop pour entrer dans le cadre strict de l’intégrité de la foi.
Le troisième volet de cet ouvrage sur la confrontation entre science et foi traite de la théorie du Big Bang et de l’origine de l’univers avec, entre modèles, expériences et faits, comme figures centrales Einstein, bien sûr, parmi d’autres savants du siècle dernier, mais aussi un autre personnage d’Eglise exceptionnel, l’abbé belge Georges Lemaître (1894-1966) qui, physicien professionnel (il soutint sa thèse de doctorat en physique au Massachussetts Institute of Technology), participa directement aux développements scientifiques de son époque sans jamais avoir à s’inquiéter des instances romaines. A la question d’un journaliste dans le New York Times du 19 février 1933 de savoir « s’il n’y a pas contradiction à être à la fois prêtre et physicien », Lemaître répondit : « Il y a deux chemins pour arriver à la vérité. J’ai décidé de les suivre tous les deux. Rien dans ma vie professionnelle, rien de ce que j’ai appris dans mes études, que ce soit en science ou en religion, ne m’a jamais fait changer d’avis. »
Science et foi, Les grandes controverses, Galilée, Darwin, Einstein, Florian Laguens, 256 p, Artège.
* * *
Vous êtes invités à vous abonner gratuitement sur Palingénésie Digest, un regard différant (avec « a »), critique, caustique et sarcastique sur l’état et la marche du monde. Rendez-vous-y et abonnez-vous. (Les deux blogs sont gérés de manière indépendante.)
Publié récemment sur Palingénésie Digest, à lire via le lien:
Il était une (seconde) fois en Amérique
Une réflexion sur Trump 2.0. Sa réélection constitue-t-elle un virage idéologique à 180° sans retour en arrière possible ?
* * *
Achetez, lisez et offrez l’essai Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées – L’Europe sous l’emprise de l’idéologie qui vient de paraître et est disponible en version papier ou au format kindle en principe exclusivement sur Amazon.fr en suivant ce lien.
Si vous êtes libraire et souhaitez proposer le livre à vos clients, n’hésitez pas à contacter Palingénésie à l’adresse info@palingenesie.com.
* * *
Aidez Palingénésie à se faire connaître en transférant cet article à vos proches et amis. Merci d’avance pour votre précieux soutien.
En cas de souci quelconque, veuillez envoyer un e-mail à : info@palingenesie.com.
MERCI pour la phrase de l’abbé Lemaître! Elle est claire et je compte bien la « placer » à l’occasion. Trop de personnes veulent UNE vérité et voient vite des contradictions….