Hanna Vandenbussche est une championne de course à pied sur longue distance et une philosophe. Elle a remporté six titres de championne de Belgique (10.000 m sur piste en 2011, 10 km sur route en 2016, semi-marathon en 2013 et 2022, marathon en 2017 et cross-country en 2019). L’an dernier, elle a accompli son meilleur chrono sur semi-marathon, précisément au championnat de Belgique à Gand, en 1h 13m 47s, et l’année précédente elle avait réussi un record personnel sur marathon à Berlin, s’y classant 13e en 2:34:44. Elle a combiné sa carrière de sportive de très haut niveau avec un doctorat en philosophie.

Pour ceux qui l’ignoreraient, un marathon se court sur la distance de 42,195 km. Hanna ne traîne pas en route. Pour partager sa passion pour la course à pied dans un bel ouvrage paru chez Houtekiet, elle s’est inspirée d’une créature légendaire à la course rapide, Atalante, qui, d’après la mythologie grecque, son père voulant la marier, mit ses prétendants au défi de la battre à la course avant de l’épouser, ceux y échouant étant mis à mort. De nombreux prétendants succombèrent à la tentation et au sort fatal auquel la défaite les condamnait, jusqu’à ce que Hippomène, coaché par Aphrodite, sema des pommes d’or que, hélas pour elle, Atalante s’attarda à ramasser.

Au contraire d’autres auteurs qui analysent jusqu’où la pensée influence leur performance athlétique, Vandenbussche parcourt le chemin inverse et fait le lien entre sa pratique du sport de compétition et les réflexions que cette pratique suscite en elle. Le sujet de sa thèse de doctorat à l’Institut supérieur de philosophie de Louvain s’y prête, l’auto-illusion et l’estime de soi chez Descartes et chez Pascal, non que ces derniers fussent connus pour leur amour du sport au XVIIe siècle.

En pensées avec Pascal

Son inspiration première, c’est d’ailleurs plutôt chez Pythagore (580-495 av. J.C.) qu’elle la trouve, lui qui répondit au tyran Léon, roi de Phlionte, que la vie n’était qu’un jeu, une compétition sportive, dans laquelle une personne de grand esprit comme lui, Pythagore, qui fut le premier à se qualifier de philosophe, se devait de rester alerte parmi ceux cherchaient la gloire ou le profit.

C’est l’esprit alerte dans lequel a été rédigé Het lot van Atalanta, een filosofische verkenning van het langeafstandslopen. Plutôt que d’inciter à s’inspirer de la philosophie à l’entraînement et pendant la compétition (elle avoue d’ailleurs ne pas penser pendant l’effort, tout comme Haruki Murakami en convient dans son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond), Hanna Vandenbussche propose donc, au contraire, une exploration philosophique de la course à pied avec pour guides quelques-uns des plus grands philosophes de langue française.

A commencer par Sartre. Comment éviter l’obstacle de la phénoménologie et, s’agissant de course à pied, ses principes de perception, de mémoire et d’imagination, à moins que l’on ne considère la course sous l’angle unique d’une idée platonicienne de la perfection à achever dans l’art de courir ? Pascal semble toutefois permettre d’appréhender (au sens didactique) de manière plus adéquate le phénomène de la course à pied au temps présent, grâce à ses concepts d’esprit de géométrie et d’esprit de finesse, lesquels préfigurent l’aspect chrono et Strava des prouesses du corps, d’une part, les états d’âme et le ressenti, éventuellement partagés sur Facebook à force de selfies, d’autre part.

Hanna Vandenbussche dit lire et relire Les Pensées de Pascal depuis une douzaine d’années et rester fascinée par leur caractère pessimiste et chaotique et, s’il en faut du caractère pour courir, d’autant plus à haut niveau, elle concède que ce n’est pas chez Pascal qu’il faut chercher la motivation, ni un mantra. Que sa citation selon laquelle « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre » ait été en vogue pendant les périodes de confinement en dit assez sur la mésestime de Pascal pour ceux qui ne tiennent pas en place.

No human is limited

Soit dit en courant, le champion kényan Kipchoge et ses tentatives, la dernière réussie, de courir le marathon sous les 2 heures avec comme slogan « No human is limited with science » constituent le parangon ultime de l’esprit de géométrie. Point n’est besoin de viser si haut pour trouver le bonheur. Dans ses Propos sur le bonheur justement, Alain, autre philosophe cité par Hanna Vandenbussche, remet l’esprit de finesse à l’avant-plan et rappelle ceux qui se laissent abuser par l’intranquillité au sens des réalités. Ne voyez pas tout en noir, dit-il, « les événements n’y sont pour rien, c’est [votre] corps qui veut raisonner » et votre âme qui « s’empiège elle-même », victime de sa fantasmagorie. « L’imagination, avertit-il, est pire qu’un bourreau chinois ; elle dose la peur. »

Une pratique régulière de la course à pied peut précisément aider à faire le vide et à remettre toutes choses en perspective. Un stoïcien, Epictète (50-125 ap. J.-C.), en formule la sagesse ultime : « Ne demande pas que les événements arrivent comme tu le veux, mais contente-toi de les vouloir comme ils arrivent, et tu couleras une vie heureuse. »

Het lot van Atalanta, Hanna Vandenbussche, 208 pages, Uitgeverij Houtekiet.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4073 du mercredi 1er février 2023.)