L’auteur de ce petit ouvrage, paru dans la collection Que sais-je? en 2016, réédité et mis à jour en 2019, l’avoue, la plupart de ses lecteurs entendront le titre comme « Les cent maux de l’entreprise », tant cette dernière est objet de défiance, du moins en France, mais pas seulement, ajouterions-nous, les plus grandes étant tenues pour responsables de la grande crise financière et économique, celle de la pandémie de Covid-19 (que certains s’empressèrent de faire endosser à la mondialisation) n’étant pas encore survenue au moment où Les 100 mots de l’entreprise sortirent de presse.
Cette défiance résulterait, selon David Simonnet, de la désaffection des Français pour le commerce et elle habite encore une majorité d’intellectuels, d’enseignants, de fonctionnaires, or, les entreprises, « ces oubliées du modèle », les gouvernants eux-mêmes sont bien amenés à les considérer comme la solution à la crise.
L’auteur des 100 mots de l’entreprise fait part de son ambition de faire oeuvre de dévoilement (donner en peu de temps à connaître ce qu’il y a lieu de savoir) et de déchaînement salutaire, car « la diffusion de l’esprit d’entreprise, écrit-il, est une entreprise de salut public » : acteur politique de tout premier plan, elle participera nécessairement à la refonte de notre contrat social.
Typologie des entreprises
Si, avant le début de la révolution industrielle, rappelle-t-il, 80% de la population active était constituée de travailleurs indépendants, ce sont aujourd’hui plus de 90% des actifs qui sont salariés des entreprises, bien qu’en France se manifeste un reflux vers le statut d’autoentrepreneur. Arrêtons-nous à ce stade à la typologie actuelle des entreprises. Ces données (mises à jour par l’auteur de cet article pour la France et complétées par lui de celles pour la Belgique) paraissent quelque peu fastidieuses, mais elles sont indispensables pour comprendre ce dont on parle.
La France comportait en 2017 (INSEE 2020) 3,9 millions d’entreprises dans le système marchand (hors secteurs agricole et financier), réparties en 257 grandes entreprises (GE, effectif égal ou supérieur à 5000 salariés) mettant au travail 3,4 millions de salariés en équivalent temps plein (26% du total) et contribuant à 31% de la valeur ajoutée. Viennent ensuite 5 700 entreprises de taille intermédiaire (ETI, 250 à 4 999 salariés) et 148 000 petites et moyennes entreprises (PME, 10 à 249 salariés) mettant respectivement au travail 25% et 30% des salariés et générant 26% et 23% de la VA. Le plus grand nombre d’entreprises (3,7 millions, soit 95% du total !) sont des microentreprises (MIC, moins de 10 salariés) qui occupent 2,4 millions de salariés (19 % du total) et génèrent 20 % de la valeur ajoutée.
En comparaison, en Belgique, en 2017 (StatBel 09.2019), l’économie marchande non financière comptait 631.819 entreprises et occupait 2.871.948 personnes. Les grandes entreprises (250 personnes et plus), les entreprises moyennes (de 50 à 249) et les petites entreprises (de 10 à 49) représentaient respectivement 0,2, 0,7, 4,4% du nombre des entreprises marchandes en Belgique et comptabilisaient 38,5, 18,5, 18,3% de la valeur ajoutée et 31,5, 15 et 19% de l’emploi. Ici aussi, 94,8% des entreprises occupaient moins de 10 personnes. Elles représentaient une part de 24,8% de la valeur ajoutée et de 34,5 % de l’emploi : près d’un quart de la valeur ajoutée et plus d’un tiers de l’emploi ! Les microentreprises ne comptent pas pour des « prunes », et pourtant !
L’entrepreneur, ce « salaud de patron »?
Une entreprise consiste tout à la fois en un système clos (qui a des objectifs, des plans, des moyens de contrôle et tend à une certaine rationalité) et en un système ouvert (qui vit et interagit, notamment avec l’extérieur, ce qui entraîne des aléas et des risques et impose des choix).
La typologie des entreprises permet d’affirmer que derrière la plupart des entreprises il y a un entrepreneur-patron, lequel, loin d’être un « salaud » (comme le pensent encore nombre de grands sachants qui n’ont jamais créé ni géré la moindre entreprise et en conservent une notion marxiste), décide et prend ainsi à sa charge la part d’arbitraire et d’aléatoire que comporte nécessairement la gestion d’une entreprise.
Capital et travail ne sont pas mutuellement exclusifs. En 2016, la rémunération totale du travail (y compris les cotisations sociales) s’élevait en France à 58% de la valeur ajoutée créée et l’excédent brut d’exploitation (EBITDA en anglais) se répartissait, toutes entreprises confondues, comme suit : 40,6 % à l’épargne d’entreprise, 25,6 % à la rémunération des propriétaires du capital, 14,5 % à l’impôt et 9,8 % aux intérêts versés.
D’aucuns prédisent (et, parfois, fomentent) la fin de la croissance et rêvent de substituer à cette vision quantitative de l’économie celle, qualitative, de développement. Que l’on conçoive l’une ou l’autre notion comme la condition première à la réalisation de la seconde, il n’échappera à personne que les deux sont liées et qu’il n’est de développement durable que celui qui tient aussi compte des aspects économiques et sociaux.
Place à la compétitivité des entreprises, vraiment?
De manière à favoriser l’emploi, on privilégie désormais la compétitivité des entreprises. C’est fort honorable de considérer que l’entreprise, par sa praxis unique, fait partie de la solution et non du problème, mais 4/5 des entreprises ne créent qu’un seul emploi, celui de l’entrepreneur, et pour cause : ces millions de microentreprises qui constituent une part essentielle du tissu marchand sont assommées de normes (notamment sociales et environnementales), de contraintes et de charges administratives.
Est-il raisonnable qu’une microentreprise occupant une seule ou quelques personnes soit soumise aux mêmes règles du jeu, par exemple en matière de législation du travail, que des entreprises qui en occupent plusieurs centaines, milliers, dizaines de milliers, à un moment où toutes ont à s’adapter aux bouleversements numériques (cloud computing, big data, machine learning) qui transforment tous les pans de l’économie ?
Que l’on ne se leurre pas : la mondialisation accablée de tous les maux ne concernerait, d’après l’auteur, que 20% des emplois. La plupart des entreprises restent sédentaires. Ce sont le libraire, le boulanger, le boucher, le restaurateur, l’hôtelier, les commerçants et les prestataires en général, les titulaires d’une profession libérale… L’entreprise a sa place dans la cité. C’est l’un des mérites de David Simonnet de le rappeler dans Les 100 mots de l’entreprise.
Beaucoup d’entreprises sont confrontées à une redéfinition de leur raison d’être ainsi qu’à une panne de motivation (en raison du déclin de la valeur du travail dans la vie sociale et du recul de son importance dans la satisfaction des besoins primaires et des besoins de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance et de réalisation de soi).
Ne faudrait-il pas d’urgence se débarrasser des a priori marxistes à l’encontre du capitalisme comme exercice d’un pouvoir de domination (une dialectique qui imprègne encore nombre d’intellectuels, de politiciens, de représentants des travailleurs) et repenser fondamentalement le système – il existe des exemples en Europe, le Danemark parmi d’autres – afin d’encourager l’esprit d’entreprise et de dynamiser l’emploi, c’est à dire la participation active du plus grand nombre à la vie sociale ?
Les 100 mots de l’entreprise, David Simonnet, 128 pages, Collection Que sais-je?
(Cet article a initialement paru dans l’hebdomadaire satirique belge PAN numéro 3949 du 18 septembre 2020.)
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