Patrick Artus est l’un des économistes français les plus écoutés de France. Il l’est aussi en Belgique, où ses conférences sur la situation et les perspectives économiques pour le compte de la banque française de gestion d’actifs Natixis, dont il est l’économiste en chef, font le plein de professionnels de la finance, auprès desquels il fait figure d’oracle. Il vient de publier 40 ans d’austérité salariale : comment en sortir ? aux Editions Odile Jacob.
La thèse du livre est que l’une des principales caractéristiques du capitalisme libéral est « l’austérité salariale », inspirée par les thèses de Milton Friedman dans son livre paru en 1962, Capitalisme et liberté, et instaurée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans le monde anglo-saxon dans les années 1980, par le chancelier Schröder en Allemagne dans les années 1990 et au Japon à la suite de la grande crise bancaire de 1997-1998.
L’austérité salariale s’entend comme une diminution de la part des salaires dans le partage des revenus et, en particulier, des gains de productivité.
Quand bien même les cas de la France (où l’augmentation des salaires a suivi la productivité) et de l’Italie (où la productivité n’a pas progressé) sont différents, elles seraient curieusement, elles aussi, selon Patrick Artus, victimes d’une certaine forme d’austérité salariale, en France en raison de ce que la part des coûts de l’énergie et du logement a fortement augmenté dans les dépenses des ménages, en Italie du fait qu’en l’absence d’accroissement de la productivité, les salaires sont tout simplement restés bloqués.
A l’origine de l’austérité salariale, il y a eu la volonté de lutter contre l’inflation qui avait flambé dans les années 1970. Elle a suscité des politiques monétaires de stabilité des prix et de freinage de la hausse des salaires, cette dernière constituant un élément important de la hausse des prix.
La thèse de Patrick Artus est que l’austérité salariale suscite un affaiblissement de l’inflation, lequel permet de mener une politique monétaire expansionniste, et que les taux d’intérêt bas qui en résultent permettent de mener une politique budgétaire expansionniste et débouchent sur un équilibre dans lequel les déficits publics compensent la baisse de la demande en provenance des ménages via un accroissement de l’endettement public à moindre coût – tant que les taux d’intérêt restent bas.
C’est ce qu’il est convenu d’appeler un phénomène de « japonisation » des économies occidentales. Au Japon, la productivité a augmenté de 20 % de 1997 à aujourd’hui, selon Patrick Artus, alors que les salaires réels sont restés constants pendant cette période.
Il faut remarquer que ce type d’équilibre comporte des effets de redistribution complexes entre gagnants et perdants, gagnants-perdants et vice-versa. Salariés et épargnants peuvent être perdants en cette qualité et en même temps gagnants s’ils sont propriétaires d’un bien immobilier ou s’ils empruntent afin de le devenir, par exemple.
Plusieurs éléments ont contribué à réduire la marge de négociation des salariés et à freiner la hausse des salaires : la désyndicalisation en est un, certainement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni (moins en France, en Italie ou en Belgique, clairement), la nature des emplois créés (les emplois de service sont moins rémunérés que les emplois qualifiés dans l’industrie), une moindre mobilité, l’apparition d’entreprises « hyperproductives », de taille généralement importante, dont la productivité élevée résulte d’un avantage technologique, de rendements d’échelles, de prix et marges élevés et où la part des salaires dans la valeur ajoutée est moindre que dans les entreprises traditionnelles.
L’équilibre économique dont question plus haut, dans une telle configuration, est réalisé pour autant que les taux d’intérêt restent inférieurs à la croissance des revenus (le PIB en valeur). Il repose sur une marge de manoeuvre ténue, estimée de l’ordre de 0,4 %.
Or, cette faible marge peut être gommée par les inefficacités du système, par exemple par les méfaits de la concentration des entreprises et le frein induit sur la croissance à long terme, l’affaiblissement des institutions financières, les bulles spéculatives sur certains actifs, l’apparition d’entreprises zombies, voire carrément d’Etats zombies au rang desquels Patrick Artus cite les Etats-Unis, la France, l’Italie et la Belgique.
Le danger du système en place (austérité salariale → inflation faible → assouplissement monétaire → taux d’intérêt bas → déficits budgétaires → envolée de l’endettement public) réside, on l’imagine, dans une flambée de l’inflation qui nécessiterait le recours à une politique monétaire restrictive. Une hausse brutale des taux d’intérêt plongerait nombre d’Etats occidentaux dans l’insolvabilité.
D’où pourrait revenir l’inflation ? D’après Patrick Artus : 1) D’un raidissement du marché du travail ; 2) Du protectionnisme (d’un arrêt de l’importation de produits à plus bas prix en provenance des pays émergents) ; 3) De la transition énergétique (et de l’augmentation considérable concomitante des prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises).
Quels sont les risques d’un effondrement du système financier et d’un krach qui serait alors d’une magnitude infiniment supérieure à la crise financière mondiale des subprimes de 2007-2008 ? Est-il possible de l’éviter ? Est-il possible de passer de manière indolore de l’équilibre actuel à un autre équilibre ? Ce sont des questions auxquelles Patrick Artus répond dans la dernière partie de 40 ans d’austérité salariale : Comment en sortir ? et sur lesquelles Palingénésie ne manquera pas de revenir dans un prochain article.
40 ans d’austérité salariale : Comment en sortir ?, Patrick Artus, 192 pages, Editions Odile Jacob.
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