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« Sur les traces de nos peurs » (Georges Duby)

« Sur les traces de nos peurs » (Georges Duby) Posted on 6 juin 2020Laisser un commentaire

Textuel réédite ce mois-ci un ouvrage dont la première édition a paru en 1995 sous le titre An 1000, an 2000, sur les traces de nos peurs et qui a été réalisé à partir d’une série d’entretiens, publiés dans L’Express et diffusés sur Europe 1, avec l’historien spécialiste du Moyen Âge, Georges Duby (1919-1996). « Sur les traces de nos peurs » : y a-t-il un parallèle à tracer entre les peurs médiévales et les peurs d’aujourd’hui ?

Dans sa préface, l’historien François Hartog se penche sur trois points par rapport auxquels il relève des différences : le partage entre le visible et l’invisible, la question de la fin et de l’apocalypse, et le rôle de l’histoire.

Au Moyen Âge, le monde invisible est omniprésent. La vie chrétienne est une marche de l’obscurité vers la lumière, vers Dieu, les événements sortant de l’ordinaire constituant une manifestation de sa volonté ou de sa colère que prophètes et prêtres s’empressent d’interpréter. Les épidémies en sont un exemple. Mais, faut-il y voir un réel changement dès lors que cet ancien schéma de peur de Dieu se trouve ravivé en lui substituant une « Nature » qui, se rebellant d’avoir été malmenée, nous punirait de nos excès ?

Que l’on songe à l’épidémie de sida qui valut aux victimes d’être stigmatisées, à la récente pandémie dans laquelle le pape lui-même a vu une réponse de la nature – et non de Dieu ! –, si ce n’en est une vengeance.

Les épidémies sont de grands acteurs de l’histoire, par rapport auxquels tous les hommes deviennent ordinaires, presque égaux. Au Moyen Âge, on y voyait un châtiment des péchés et une invitation au repentir. Le monde moderne a, dans sa marche en avant, depuis le XVIe siècle, progressivement et méthodiquement débusqué l’invisible. Une pandémie comme celle du Covid-19 ne nous y renvoie-t-elle toutefois pas en nous confrontant à un « ennemi mortel insaisissable » qui suscite inévitablement la peur ?

L’homme médiéval, dont le dénuement matériel était semblable à celui des peuples les plus pauvres d’aujourd’hui, se trouvait dans une position de faiblesse extrême par rapport aux forces de la nature, que ces forces se traduisent par la famine, une épidémie ou tout autre cataclysme. Que la marche en avant du monde moderne ait permis aux hommes de surmonter certaines faiblesses n’a pas empêché la peur ancestrale de la misère d’insuffler à nos contemporains cette peur de manquer qui n’a cessé de tourmenter les hommes au cours des âges et qui s’est encore déclenchée avec la frénésie d’achats dans les grandes surfaces au début de la pandémie de Covid-19.

Parlant de calamités, celle de la peste noire de 1348, à laquelle succomba d’un tiers à la moitié de la population européenne de l’époque, permet de tracer un autre parallèle avec notre époque. La peste du Moyen Âge était en quelque sorte elle aussi une maladie exotique du progrès. En ces temps-là, des négociants génois et vénitiens commerçaient aux confins de la mer Noire avec des marchands venus d’Asie par la route de la soie. De Crimée, via la Sicile et Marseille, la peste noire se propagea au reste du continent.

Il est, aux yeux du médiéviste Georges Duby, deux différences fondamentales entre les peurs du Moyen Âge et de notre époque. Elles concernent la peur de l’au-delà et celle de la fin du monde.

L’homme chrétien du Moyen Âge avait la certitude de ne pas disparaître à sa mort. Sa peur résidait dans le risque d’encourir le châtiment divin ; par contre, il ne se posait pas de questions à propos de la disparition de l’espèce humaine, car il en était persuadé. Il croyait à la parousie, au retour glorieux du Christ, à la fin des temps et, sans doute, à celle de l’univers, la Terre en étant pour lui le centre.

L’homme moderne n’a pas gagné au change. Plus ses connaissances se sont développées, plus l’Homme moderne a eu conscience de ce qu’il existait des choses inconnaissables. Sa perte du sentiment religieux lui a fait entrevoir la mort comme un basculement dans le néant et ressentir son impuissance face à son destin. Confession et pénitence ont cédé la place aux maladies de l’âme ; les rites chrétiens, aux consultations de psychanalyse.

Quant à la crainte de la fin du monde, elle aussi a traversé les âges. L’homme se porte-t-il désormais mieux, au temps de l’Anthropocène, de savoir que son empreinte géologique participe à l’extinction présumée des espèces et que le Temps est devenu un acteur à part entière de l’histoire ?

Ou, faut-il y aussi voir comme une projection en raie spectrale des croyances propres à la fantasmagorie de l’univers mental du Moyen Âge ?

Sur les traces de nos peurs, Georges Duby, Préface de François Hartog, 96 pages, Editions Textuel.

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